vendredi 31 janvier 2014

La Sangsue (Shabab emraa, 1956)

شباب امرأة
إخراج : صلاح ابو سيف




Salah Abou Seif a réalisé La Sangsue en 1956.
Distribution : Shadia (Salwa, la fiancée), Chukry Sarhan (Imam, l'étudiant), Taheya Carioca (Shafaat, la logeuse), Abdel Wares Asr (le régisseur), Ferdoos Mohamed (la mère d’Imam), Abdel Moneim Basioni (l’officier de police), Abbas Al Dali (l’oncle d’Imam), Serag Mounir (le père de Salwa), Mary Ezz El Din (la mère de Salwa)
Scénario : Youssef Ghorab, Salah Abou Seif
Dialogues : El Sayed Bedeir
Musique : Fouad El-Zahiry, Mounir Mourad, Naguib El Selahdar
Production : Ramsès Naguib

 
Chukry Sarhan et Taheya Carioca
                                                                                       
Chukry Sarhan
                           

Taheya Carioca
                                                                                                       

Shadia et Suliman Al Gindy
                               

Chukry Sarhan et Abdel Wares Asr
                                                                                      


Résumé

Un jeune paysan, Imam, quitte sa famille pour aller étudier au Caire. Sa logeuse, Shafaat, est une veuve qui dirige une fabrique d’huile. Insatisfaite sexuellement elle parvient à séduire son jeune locataire. Ce dernier est  fasciné par la sensualité de cette femme beaucoup plus âgée que lui. Il sacrifie tout à cette liaison « infernale ». Imam continue cependant à rendre visite à des amis de ses parents. Ces derniers ont une fille dont le jeune homme finit par tomber amoureux. Il souhaite rompre avec Shafaat qui ne l’entend pas de cette oreille. Elle met au point toute une machination de telle sorte qu’Iman est contraint de l’épouser malgré les vœux échangés avec la fille de ses amis.
Le film se termine par une scène particulièrement dramatique. Tous les protagonistes sont réunis dans la maison de la « vieille maîtresse » : la jeune fille et son père, Imam et ses parents qui viennent d’arriver de leur village, le vieux régisseur de la fabrique, ancien amant de la veuve et confident d’Imam et, enfin, Shafaat elle-même. Sous les regards médusés de ses « hôtes », celle-ci laisse éclater sa haine et révèle ainsi sa vraie personnalité. Horrifiés, les autres personnages veulent aussitôt quitter les lieux. La veuve tente de rattraper son jeune  époux. Elle en est empêchée par son régisseur. Il est bien décidé à mettre la « sangsue » hors d’état de nuire. Une lutte s’engage entre l’homme et la femme. Cette dernière est violemment poussée contre la rampe qui cède. En contrebas, il y a la broyeuse qui sert à la fabrication de l’huile. Shafaat meurt écrasée par la meule en pierre tirée par le cheval tandis que le vieux régisseur hurle sa joie.


Critique

Un chef d'œuvre.  Salah Abou Seif est un grand cinéaste et ce film en fait une nouvelle fois la preuve (Inutile de préciser que La Sangsue n’a fait l’objet d’aucune publication en DVD sur le marché français). On  y retrouve le style  du  maître égyptien,  ce réalisme à la fois poétique et symbolique qui rappelle l’atmosphère de certains romans de Naguib Mahfouz.

On a parfois reproché à ce film son propos moralisateur, ce qui à mon avis n’a pas grand sens. En tous les cas, il n’est pas plus moralisateur que les films noirs américains des années cinquante mettant en scène la femme fatale et ses victimes, pauvres hommes que la passion détruit inexorablement.

Il est vrai que le dénouement assure le triomphe de la vertu : la femme fatale finit toujours par mourir ! Mais le film est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Salah Abou Seif adopte l’attitude de Barbey d’Aurevilly  : feindre de dénoncer le mal pour mieux le peindre, pour mieux  en suggérer tous les délices. D’ailleurs, La Sangsue présente de nombreuses similitudes avec le roman « Une Vieille Maîtresse » de l’écrivain normand. 

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la séduction évidente de Taheya Carioca. Salah Abou Seif ne cesse de célébrer  sa beauté dans des plans rapprochés qui nous font partager la fascination du jeune étudiant pour sa logeuse. Ensuite, c’est le jeune homme qui devient objet de désir, la caméra adoptant le point de vue de la femme qui ne manque aucune occasion de se retrouver en  présence d’un locataire si désirable. Elle le déshabille du regard, le frôle, le caresse jusqu’au premier baiser qui constitue l’une des plus belles scènes du film et sans doute l’un des baisers les plus mémorables de toute l’histoire du cinéma.

Certes, Shafaat nous est présentée comme une femme dangereuse. Elle asservit hommes et bêtes qui travaillent pour elle, elle épuise son jeune amant par un appétit sexuel sans limite. Mais c’est avant tout une femme libre, qui assume ses désirs et revendique son droit au plaisir, quel que soit le prix à payer. A ce propos, on peut déplorer le titre détestable choisi pour la sortie du film en France « la Sangsue » alors que le titre arabe est « Jeunesse d’une Femme », titre conservé en anglais. Pourquoi « La Sangsue » ? La condamnation est sans appel et c’est peut-être le signe qu’à l’époque, on est plus puritain en France qu’en Egypte ! 

Enfin, le jeu de Chukry Sarhan montre bien toute l'ambigüité du personnage d'Imam qui jusqu'au bout semble incapable de se détacher de sa logeuse tyrannique. Face à la détermination de cette dernière, il semble pétrifié, sans volonté et on finit par se demander s’il souhaite vraiment la quitter pour convoler avec la ravissante oie blanche dont il s’est entiché.  Dans le dernier plan du film, tandis que ses proches l’entrainent hors de la maison « maudite » son regard ne peut quitter le corps sans vie de sa maîtresse..


Voilà ce qu'écrivait François Truffaut à propos de la Sangsue dans Le Temps le 2 mai 1956." "La Sangsue" de Salah Abou Seif est une production pleine de verve et d'une grande drôlerie. Un jeune étudiant de province arrive au Caire et se laisse séduire par sa logeuse, femme du peuple, fougueuse et dépravée, qui le fait sombrer dans la déchéance. Les efforts additionnés de ses parents et de sa fiancée triomphent finalement de cette sangsue fatale.  la mise en scène est adroite, le scénario bien construit et riche en péripéties, le dialogue stupéfiant de crudité et les acteurs tous magnifiques."

Appréciation : 5/5
*****
Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

vendredi 24 janvier 2014

Les 100 films les plus importants (5) Les années cinquante (3)

En 2006, la bibliothèque d’Alexandrie forme un comité de trois spécialistes (Ahmed El-Hadari, Samir Farid et Kamal Ramzi) afin de dresser la liste des 100 films les plus importants de l’histoire du  cinéma égyptien. 


Les Années Cinquante (3)


25) Samara (Samara, 1956, Hassan El-Seifi)
سمارة


Avec Taheya Carioca, Mohsen Sarhane, Mahmoud El-Meliguy 
Thriller. Soltan, un important trafiquant de drogue, épouse Samara, une danseuse dont l’enfance fut bouleversée par des événements dramatiques. Il l’initie à ses affaires et la jeune femme devient une pièce maîtresse du gang. Mais la police parvient à introduire dans le réseau un indicateur. Samara en tombe aussitôt amoureuse. La situation se complique encore quand le patron de Soltan s’éprend à son tour de la danseuse…
Dans les années 2010, ce film fera l’objet d’une adaptation pour une série télévisée intitulée elle aussi Samara avec notamment l’actrice Ghada Abdel Razek. Cette série aura un succès considérable dans tout le monde arabe.


26) Al-Mufatish Al-’Aam (L'Inspecteur Général, 1956, Helmi Rafla)
المفتش العام

 Avec Taheya Carioca, Ismail Yassin, Mahmoud El-Meliguy
Le maire d’un village s’est enrichi en escroquant ses administrés et en détournant à son profit personnel les subventions envoyées par l’état. Un jour, il apprend que le gouvernement a décidé d’envoyer un inspecteur général pour enquêter sur d’éventuels détournements de fonds. Il croit que Saber, un pauvre inspecteur agricole qui s’est installé dans l’hôtel du village, est en fait ce fameux inspecteur général. Il tente de le corrompre…
Adaptation de la pièce de théâtre Le Revizor de Nicolas Gogol (1836)


27) Al-Garima wal-’Iqab (le crime et le châtiment, 1957, Ibrahim Emara)
الجريمة و العقاب


Avec Magda al Sabbahi, Choukri Sahrane, Zahrat al Oula
Adaptation du roman de Dostoievski
Zahrat Al Oula, l'une des vedettes de ce film, nous a quittés le 18 décembre dernier à l'âge de 79 ans.


28) Al-Fituwa (Le Costaud, 1957, Salah Abou Seif)
الفتوة


Avec Farid Chawki (Haridi), Taheya Carioca (Hosna), Zaki Rostom (Abou Zeid)
Scénario : Mohammed Sobhi, El-Sayed Bedeir, Naguib Mahfouz, Salah Abou Seif
Un "roi du souk", Abu Zeid, entouré de ses gros bras, fait régner sa loi par la terreur en stockant les produits alimentaires pour faire flamber les prix. Un jeune paysan, Haridi, encouragé par Hosna, une ancienne maîtresse du caïd, et par les autres commerçants du marché, réussit à le détrôner et à le faire emprisonner. Utilisant les mêmes procédés, il devient le nouveau roi du souk. Mais Abu Zeid sort de
prison.


29) La Anam (Nuits sans sommeil, 1957, Salah Abou Seif)

لا أنام


Avec Faten Hamama, Yehia, Hind Rostom, Omar Sharif
d'après un roman de Ihsan Abd Al Qudus
Faten Hamama joue Nadia Lutfi (C’est après avoir vu ce film que Paula Mohamed Mostafa Shafiq choisit ce nom comme pseudonyme pour se lancer dans le cinéma.), une jeune fille de la haute société qui après le divorce de ses parents choisit de vivre avec son père. Avec ce dernier, Nadia entretient une relation passionnée et exclusive qui au fil des ans se transforme pour la jeune fille en véritable attirance sexuelle. Son père se marie. Nadia se sent abandonner : elle veut se venger…
A sa sortie, le film connut un succès considérable mais il est rarement rediffusé à la télévision à cause de son sujet sulfureux.


30) Tamr Hina (Fleur de Henné,1957, Hussein Fawzi)

تمر حنة

Avec Ahmed Ramzy, Rushdy Abaza, Fayza Ahmed, Naima Akef
Tamra Henna est une danseuse bohémienne qui a séduit Ahmed,  un riche jeune homme. Ce dernier décide  de la transformer en véritable lady afin de la présenter à sa famille et à ses amis. Mais la cousine d’Ahmed et le premier fiancé de Tamra montent toute une machination pour briser le couple.
L’avant-dernier film que tournent ensemble Hussein Fawzi et sa femme Naima Akef. Considéré comme la meilleure réalisation du couple.








Cinéma, cinémas : Samia Gamal

سامية جمال 



Le magazine de cinéma "Cinéma, Cinémas" d'Antenne 2 consacre en 1984 un reportage à Samia Gamal, "la perle de l'Orient". Cette année-là, le Festival des Trois Continents à Nantes rend hommage à la danseuse et comédienne qui joua dans plus de quatre-vingt films. Ce reportage est constitué pour l'essentiel d'un entretien enregistré l'été précédent au Caire.
Réalisation :  Alain Nahum et Anne Andreu


Extraits de 
Ali Baba et les 40 voleurs de Jacques Becker (1954)
Mademoiselle Diable (Afrita Hanem) d'Henry Barakat (1949 et non 1952 comme l'indique le reportage)
Le Monstre de Salah Abou Seif (1954)
C'est toi que j'aime d'Ahmed Badrakhan (1949) alors que dans le reportage on prétend que le film a été réalisé par Henry Barakat en 1951.



dimanche 19 janvier 2014

Mélodie dans ma vie (Nagham fi hayati, 1975)

نغم فى حياتى
إخراج : هنري بركات



Mélodie dans ma vie a été réalisé par Henry Barakat en 1975.
avec Farid Al Atrache, Mervat Amine, Hussein Fahmi, Leïla Karam, Shafiq Hassan, Zeyad Makok
Ce film est une adaptation de la Trilogie Marseillaise de Marcel Pagnol (Marius, Fanny et César)
Scénario : Youssef Gohar
Musique : Farid Al Atrache



Mélodie dans ma vie fut le dernier film de Farid Al Atrache. Ce dernier souffrait depuis longtemps de problèmes cardiaques et dans les dernières années de son existence, la maladie s’était aggravée. Il était devenu très maigre et sa voix avait perdu de son exceptionnel « velouté ». Malgré cela, Farid Al-Atrache continuait de faire des films et de se produire en concert.  Il meurt le 26 décembre 1974 à l’hôpital Al Hayek de Beyrouth des suites d’une crise cardiaque.


Mervat Amine et Farid Al Atrache
                 


Hussein Fahmy
                                                                                                         


Hussein Fahmy et Mervat Amine


Résumé

Hanan a terminé ses études et elle travaille comme secrétaire pour Mamdouh, un chanteur célèbre, ami de ses parents. Bien qu’il soit beaucoup plus âgé qu’elle, il en est follement amoureux.
La jeune fille passe l’été avec sa mère au Liban. Là-bas, elle retrouve Mohsen, le garçon qu’elle aime et qu’elle doit épouser. Mais celui-ci n’a qu’un seul rêve : quitter le café paternel où il travaille comme serveur et émigrer au Brésil pour devenir riche. Afin qu’il renonce à son projet, Hanan est prête à tout. Une nuit, elle s’abandonne à lui contre la promesse d’un mariage rapide. Malheureusement, le lendemain, il disparaît : il a embarqué sur un navire qui  fait route vers l’Amérique.
Un peu plus tard, Hanan découvre qu’elle est enceinte. Par peur du scandale, elle tente de se suicider. Elle est sauvée in extremis par Mamdouh qui lui aussi séjourne au Liban. Quand il apprend la situation de Hanan, il lui propose de l’épouser. Elle accepte. Progressivement, la jeune femme apprend à aimer son bienfaiteur qui se révèle un père idéal pour son fils.
Les années passent et Mohsen reparaît. Son aventure brésilienne a été un échec et il souhaite renouer avec Hanan. Malgré les réticences de cette dernière, la rencontre a lieu. Il devine qu’elle l’aime toujours et que l’enfant est leur fils à tous les deux.
Mamdouh comprend lui aussi la situation créée par le retour du fiancé prodigue. Il est désespéré mais il décide de s’effacer pour laisser les deux jeunes gens connaître le bonheur avec leur petit garçon. 


Critique

Entre 1947 et 1953, Henry Barakat met en scène Farid Al Atrache dans des comédies musicales devenues des classiques du genre comme Afrita Hanem en1949.
Vingt-cinq ans ans plus tard, les voilà à nouveau réunis pour un dernier film intitulé Mélodie de ma vie, un titre rappelant leurs succès des années cinquante. Il est difficile de voir cette comédie sans penser à la mort de Farid Al-Atrache qui survient le tournage à peine achevé. A chaque scène, à chaque plan nous découvrons les ravages de la maladie. Le visage de l’acteur  est  blême et amaigri, son pas, hésitant, son élocution, languissante. Il semble épuisé et guère concerné par l’intrigue que lui ont concoctée Barakat et son scénariste Youssef Gohar.
Il est vrai que cette adaptation de l’œuvre de Pagnol n’est guère passionnante. On ne croit pas un instant à la relation entre Farid Al Atrache et Mervat Amine, les rares séquences chantées et dansées sont interminables, le dénouement qu’on attendait avec impatience ne se démarque pas de l’ensemble : mièvre et conventionnel.

Bref, Mélodie de Ma vie est un chant du cygne mais c’est aussi un film raté. Doublement pathétique, donc.

.Appréciation : 2/5
**
Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin