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mercredi 16 mars 2022

Asmahan : année après année

 أسمهان


Amal Al Atrache, le vrai nom d'Asmahan,  naît le 25 novembre 1917 sur un bateau grec parti de Turquie et à destination du Liban.
Son père, Fahd Al Atrache (1875-1925) et sa mère, Alia Al Mundhir (1895-1967), accompagnés de leurs deux garçons, ont quitté précipitamment la Turquie pour rentrer en Syrie.
Fahd Al Atrache est un druze syrien et Alia Al Mundhir, une druze libanaise. Ils se sont mariés en 1908 ou 1909. Pour Fahd, c'est un deuxième mariage. Ils ont eu cinq enfants : Fouad, Farid, Amal, Anwar et Wedad. Les deux derniers meurent en bas âge.

Au premier plan, Farid, Amal, Fahd, Wedad

Fahd et sa famille retrouvent le Djebel El Druze, une région que la famille Al Atrache gouverne depuis 1879. A la tête du clan, on trouve Sultan Al Atrache, cousin de Fahd.   

En 1916, le chérif de la Mecque, Hussein Ben Ali, se soulève contre les Turcs, avec le soutien des Britanniques. L'année suivante, Sultan Al Atrache et ses hommes rejoignent les troupes arabo-britanniques pour combattre l'Empire Ottoman. On comprend pourquoi Fahd Al Atrache ne pouvait plus rester en Turquie sans mettre en grand danger sa vie et celle de toute sa famille. 


1925 :

En août, Sultan Al Atrache lance la révolution contre l'occupant français (en 1920, la SDN a donné à la France des mandats de protectorats sur la Syrie et le Liban.)

Fahd disparaît dans des circonstances inconnues. Pour échapper aux Français, Alia et ses trois enfants quittent la Syrie et s’installent au Caire. Ils trouvent un logement dans le vieux quartier d'El Fagala. Pour subvenir aux besoins de ses enfants, Alia effectue des travaux de couture et, grâce à sa formation de musicienne, elle chante en s'accompagnant du oud lors de fêtes privées.

Saad Zaghloul, le dirigeant nationaliste qui a été premier ministre de l'Egypte et qui est devenu président du parlement est un vieil ami du clan Al Atrache. Il intervient pour que toute la petite famille obtienne rapidement la nationalité égyptienne. 


1925-1931 :

Grâce à l'aide d'un bienfaiteur anonyme, la famille peut emménager dans un appartement plus luxueux. Farid et Amal sont scolarisés dans une école catholique française. Très vite, les deux enfants manifestent des dons exceptionnels en chant et en musique. Adolescent encore, Farid reçoit à leur domicile les plus grands auteurs et compositeurs de chansons de l'époque. C'est Farid Ghosn, un musicien libanais, ami de la famille, qui a permis ces rencontres. Parmi ces illustres invités, il y a le grand compositeur Daoud Hosni (1870-1937) qui un jour entend la Amal chanter. Impressionné par le talent de la jeune fille, il lui trouve son nom d'artiste : Asmahan, "la Sublime" en persan.


1931 :

Asmahan a commencé à se produire en public. La compagnie Columbia lui fait alors enregistrer son premier disque avec la chanson “Le Feu de Mon Coeur” (Ya nar fouadi). Les paroles sont de  Youssef Badros et la musique de Farid Ghosn. Pour le lancement du disque, on met en avant la jeunesse de l’interprète, 14 ans. Sa réputation s'accroît très rapidement. Elle se produit à l'Opéra du Caire et, avec son frère Farid, dans le cabaret dirigé par Mary Mansour.


Le grand compositeur Ahmed Zakaria (1896-1961) lui écrit plusieurs chansons dont "Promets-moi, mon coeur" sur des paroles de Mahmoud Ismaïl.



1933 :

Asmahan enregistre les chansons "Un mot, O Lumière des Yeux" (kalimat ya nur aleuyun) et "Je Souhaitais" (Kunt Al Amani) de Youssef Badros (paroles) et de Mohamed El Qasabgy (musique)

Son frère Fouad veut mettre un terme à sa carrière artistique. Pour lui, il est impensable qu'une fille Al Atrache s'exhibe dans des cabarets : c'est l'honneur de la famille qui est en jeu. Fouad entre en relation avec leur cousin Hassan Al Atrache (1905-1977) pour lui offrir la main de sa soeur. Quand celui-ci se rend au Caire pour rencontrer Asmahan, il est immédiatement conquis. La jeune chanteuse l'est beaucoup moins mais elle n'a pas le choix : elle épouse le prince Hassan A Atrache et retourne avec lui dans le Djebel El Druze. Elle s’installe dans le village d’Ura. Sur ce mariage, Asmahan dira qu'elle avait été vendue pour 500 livres-or et un appartement à Damas.

Assis, Hassan El Atrache et Asmahan

1937 :

Le 14 juillet, elle donne naissance à sa fille Camelia au Caire. Asmahan avait obtenu l'autorisation de son mari d'accoucher dans la capitale égyptienne. Le choix du prénom de l'enfant serait un hommage à l'oeuvre d'Alexandre Dumas fils, La Dame aux Camélias et sans doute à Greta Garbo qui incarnait Marguerite dans l'adaptation de ce roman réalisée par Georges Cuckor en 1936 (titre original : Camille ; titre français : le Roman de Marguerite Gautier).

Camelia et Asmahan

Elle enregistre la chanson "Je voulais dompter ma douleur" (nuayt adari alami) de Youssef Badros (paroles) et de  Farid Al Atrache (musique).


1939 :

Asmahan décide de divorcer et retourne définitivement au Caire. Elle laisse sa fille auprès de son père. Hassan El Atrache, bien que toujours amoureux de sa femme, ne semble pas s'être opposé à ce départ. Leur union a duré six ans mais très vite des tensions étaient apparues au sein du couple, Asmahan supportant de moins en moins cette existence de femme soumise à un ordre patriarcal qu'elle jugeait odieux. Il lui tardait de retrouver la liberté, la musique, le cinéma, bref, Le Caire. Les deux ex-époux resteront en bons termes, au point de se remarier en 1941, c'est à dire deux ans plus tard !

Asmahan fait la connaissance du grand journaliste Mohamed El Tabie (1896-1976), le « Prince du Journalisme », fondateur de l'hebdomadaire "La Dernière Heure". Il restera son ami le plus fidèle. Ils se sont rencontrés chez leur ami commun, le compositeur Mohamed Abdel Wahab. Après la mort de la chanteuse, Mohamed El Tabie déclarera : « C'était la seule femme que j'ai aimée dans ma vie et je l'aime toujours et je continuerai à l'aimer. ». Il semblerait qu'ils ne soient jamais devenus amants : le journaliste craignait de trop souffrir en raison de l'inconstance et de l'instabilité notoires d'Asmahan.


1940 :

Asamahn chante sans apparaître à l'écran dans le film Jour Heureux de Mohamed Karim, adaptation cinématographique de l'opérette de Mohamed Abdel Wahab, le Fou de Layla

Elle fait la connaissance de Mary Baines, une jeune femme d'origine anglaise venue enseigner l'égyptologie au Caire. Elle deviendra sa confidente, sa secrétaire et, trop souvent, son souffre-douleur.

Mary Baines et Asmahan


En février, elle devient la maîtresse d’Ahmed Hassanein (1889-1946), le chef du protocole du roi Farouk et l’homme le plus puissant d’Egypte. Ce serait lors d'une fête organisée par son ami Mohamed El Tabie qu'Asmahan rencontre pour la première fois cet éminent personnage. A cinquante ans, il a déjà une vie bien remplie derrière lui : diplomate, explorateur, écrivain et même athlète de haut niveau (il a participé aux jeux olympiques de 1920 et de 1924 en escrime.), il était devenu conseiller de Fouad 1er avant d'être celui du roi Farouk. Leur relation, quoique épisodique, se poursuivra jusqu'en 1944. En devenant la maîtresse d'Ahmed Hassanein, Asmahan pensait sans doute s'assurer une protection dont elle avait bien besoin. Son mariage avec Hassan El Atrache lui avait retiré la nationalité égyptienne et c'est donc comme émigrée qu'elle était revenue au pays des Pharaons. A tout moment, elle pouvait être expulsée, à la merci de décisions administratives qui variaient au gré de la situation politique fort troublée en ce début de seconde guerre mondiale. Malheureusement, cette relation amoureuse va avoir des conséquences inverses à celles qu'elle souhaitait. Ahmed Hassanein était l'amant officiel de la mère du roi Farouk et quand celle-ci s'est aperçue de l'intérêt que son "favori" portait à cette petite chanteuse, elle n'a eu de cesse de lui causer mille tracasseries et petites humiliations. Impossible pour Ahmed Hassanein d'intervenir sans se trahir.


Ahmed Hassanein


Cette année-là, Asmahan enregistre des chansons qui comptent parmi les plus belles de son répertoire : "Je suis entrée une fois dans un jardin" (Dakhalti marrah)  d'Abdel Aziz Salem (paroles) et Mehdat Assem (musique) ainsi que l'incroyable "O les Oiseaux" (Ya Touyour) de Youssef Badros (paroles) et Mohamed El Qasabgy (musique). 


1941 :

Sortie de son premier film : Victoire de la jeunesse (intisar al-shabab) d’Ahmed Badrakhan, une comédie musicale qui réunit Asmahan et son frère, Farid Al Atrache. Ce dernier en a composé la musique .
Victoire de la Jeunesse a été réalisée par Ahmed Badrakhan, un pionnier du cinéma égyptien. Il avait déjà réalisé deux films avec Oum Kalthoum, la grande diva qui n'a dû guère goûter l'apparition de cette jeune rivale.
L'intrigue du film n'est pas d'une folle originalité : un frère et une soeur, tous les deux chanteurs, ont quitté leur pays pour s'installer au Caire en espérant y connaître le succès et la gloire. La dernière partie du film présente de larges extraits de l'opérette composée par le frère, ce qui permet à nos deux héros de manifester tout leur talent devant leurs proches présents dans le public. La virtuosité vocale d'Asmahan contribue à faire de ce dénouement une apothéose.


Pendant le tournage de Victoire de la Jeunesse, elle tombe amoureuse (?) du réalisateur Ahmed Badrakhan (1909-1969) et l’épouse. Le mariage durera 55 jours. L'avait-elle épousé pour obtenir la nationalité égyptienne ? C'est ce que certains affirment. En tous les cas, après son divorce, elle est toujours syrienne. La manœuvre (si manœuvre il y a) a échoué. Inutile de dire que le comportement d'Asmahan était unanimement condamné dans la communauté druze. Il y avait eu un premier divorce, elle avait ensuite épousé un non-druze (ce qui  est contraire à la tradition) et maintenant, il y avait un deuxième divorce. La coupe était pleine ! Quand Victoire de la Jeunesse fut projeté dans le Djebel El Druze et qu'Asmahan fit son apparition sur l'écran, un spectateur dit-on se leva et tira à plusieurs reprises sur elle, ou du moins sur son image, avec un revolver.  

Ahmed Badrakhan entre ses deux acteurs

En butte à des tracasseries administratives de toutes sortes et vivant sous la menace permanente d’une expulsion du territoire égyptien, ce qui la contraindrait à retourner en Syrie, elle tente de se suicider. Elle est sauvée par Mohamed El Tabei  qui la découvre chez elle inconsciente, une boite d'antidépresseurs totalement vide sur sa table de chevet.  Et c'est encore son ami qui lui redonnera goût à la vie même si celui-ci ne pouvait guère se douter du tournant à quatre-vingt-dix degrés que s'apprêtait à prendre l'existence de  sa chanteuse préférée.

Asmahan et Mohamed El Tabei


En avril, Asmahan assiste en compagnie de Mohamed El Tabei à la conférence de presse que le Général de Gaulle donne au Caire. Elle est éblouie par le courage et la détermination du chef de la France Libre. 

En mai, les services secrets britanniques  approchent Asmahan pour lui confier une mission : on lui demande d’intervenir auprès des dirigeants druzes pour qu’ils cessent leur collaboration avec le gouvernement de Vichy et qu’ils ne s’opposent pas aux troupes de la France Libre dirigées par De Gaulle quand celles-ci traverseront leurs montagnes. Asmahan accepte d'autant plus aisément cette mission "diplomatique" qu'on lui remet une somme d'argent considérable pour elle et pour les représentants du peuple druze. Mohamed El Tabei la met en garde  contre les dangers d'une telle opération mais elle ne veut veut rien savoir et se lance dans l'aventure. L'une de ses motivations est sans doute la possibilité qui lui est offerte de jouer un rôle de premier plan dans le cours de cette seconde guerre mondiale et ainsi  contraindre sa communauté à la considérer, non plus comme une artiste immorale mais comme une personnalité politique parlant d'égale à égal avec les dirigeants des forces alliées présentes dans la région. On peut y voir un désir de revanche contre tous ceux qui l'ont méprisée et calomniée.
 
Asmahan se rend d'abord à Jérusalem puis franchit la frontière syrienne. Elle négocie avec les  responsables druzes et retourne à Jérusalem. Elle s’installe au King David.

L'hôtel King David de Jérusalem a été édifié par une famille de juifs égyptiens. Il a ouvert ses portes en 1931 et une partie de l'édifice abrite tous les services des autorités britanniques. 
Le 22 juillet 1946, des membres de l'organisation terroriste juive Irgoun feront sauter le bâtiment. Le bilan sera lourd : 92 morts. En 1957, l'hôtel de luxe sera racheté et reconstruit. 

Au King David 


Le 8 juin, début de l’opération « Exporter » menée par les Britanniques et les Français de la France Libre en Syrie et au Liban contre les forces de Vichy
Asmahan quitte Jérusalem pour le Djebel Druze. Le 3 juillet, elle se remarie avec Hassan, qui est nommé ministre de la Guerre du gouvernement de Damas. Elle déclare alors à la presse : « Je renonce à ma carrière dans le cinéma et la chanson pour me consacrer à mon pays et à mon mari. »

Asmahan et Hassan El Atrache

Le 11 juillet, les forces de Vichy se retirent du Liban et de Syrie.

Au Djebel Druze, en été, Asmahan reçoit le général Georges Catroux, chef des forces de la France Libre au Moyen-Orient.

Asmahan saluant le Général Catroux


Asmahan rencontre le Général de Gaulle à la Résidence des Pins (Qasr Es Sanawbar en arabe) à Beyrouth. Ce palais dont la construction avait commencé en 1916 était devenu propriété de l'état français en 1921.Le général de Gaulle y résida comme chef de la France libre en juillet 1941 et août 1942. 

Avec le Général de Gaulle


A l'automne, Asmahan se sépare de son mari et retourne à Jérusalem. Elle s’installe pour la seconde fois au King David et reprend sa vie dissolue faite de nuits blanches à jouer au poker jusqu’à l’aube.

Le King David à Jérusalem

Elle continue également à enregistrer de nouvelles chansons (Jérusalem compte à cette époque de nombreux studios d’enregistrement.).

Sur une intervention du haut-commissaire de Palestine, Sir Harold MacMichel, Asmahan retourne au Caire pour s’installer au Mena House en face des pyramides.
Elle adopte le même type d’existence qu’à Jérusalem, la vie nocturne et la boisson, le poker et la fête.

Mena House au Caire


1942 :

4 février : des chars britanniques encerclent le palais royal pour demander au roi de limoger son premier ministre. Sous la menace d’être destitué et exilé, Farouk cède aux exigences britanniques. Cet « incident du palais d’Abedin » a été vécu par tous les égyptiens comme une humiliation et a accru l’hostilité populaire aussi bien à l’égard des Britanniques et leurs alliés qu’à l’égard de la royauté incapable de défendre les intérêts de la nation.


Manipulée par un agent secret au service de l'Allemagne, Asmahan accepte de rencontrer Franz Von Papen, l’ambassadeur du troisième Reich à Ankara.
Les Britanniques sont informés du projet de la chanteuse. Enlevée dans le train qui l’amenait en Turquie, Asmahan est assignée à résidence à Jérusalem. Les Britanniques s’arrangent avec les autorités égyptiennes pour lui interdire l’entrée en Égypte. Pour expliquer ce revirement politique d'Asmahan, on avance trois raisons :
-Elle partage le sentiment d'humiliation éprouvé par les Egyptiens lors de l'incident du palais d'Abedin.
-Elle en veut aux Français de ne pas avoir tenu leur promesse de rendre leur indépendance au Liban et à la Syrie après le succès de l'opération "Exporter".
-Elle a besoin d'argent. Hassan Al Atrache dont elle s'est à nouveau séparée ne lui verse plus un sou et elle a dépensé sans compter le pactole que lui avaient remis les Alliés pour ses bons services. 


1943 :

Asmahan rencontre à Jérusalem Ahmed Salem, producteur et réalisateur, ancien directeur de Radio Egypte et des Studios Misr. Grâce à lui, elle va retravailler et pour qu’elle puisse retourner en Egypte, elle accepte de l’épouser.

Ahmed Salem et Asmahan

1944 :

Youssef Wahbi (1898-1982) lui propose de jouer dans son prochain film, une comédie musicale inspirée du Cid de Corneille et produite par les studios Misr. L'histoire est celle d'une femme qui tombe amoureuse de l'assassin de son mari.
Le film s’appellera Amour et Vengeance et la musique sera composée par Farid Al Atrache.
Pour sa participation, Asmahan recevra le plus gros cachet jamais donné à une actrice égyptienne.



3 juillet, violente dispute avec son mari, Ahmed Salem,  qui pointe son pistolet en sa direction. La police intervient et Ahmed Salem est touché par une balle au niveau du coeur.

Le 14 juillet, mort d’Asmahan et de son amie Mary Baines. Entre deux séances de tournage, l'actrice a décidé de se rendre sur la côte à Ras El-Bar pour se reposer. L'homme qui conduit la Rolls n'est pas le chauffeur habituel. Près de la ville de Mansoura, à mi-distance du Caire et de Ras El Bar, le véhicule se déporte brutalement et plonge dans le canal qui bordait la route. Les deux passagères meurent noyées. Le chauffeur qui se serait éjecté de la voiture avant sa chute n'aurait jamais été retrouvé. Ce même jour, Camelia, la fille d'Asmahan, fêtait ses sept ans. 
On ne saura jamais si ce fut un accident ou un assassinat. Pour beaucoup, la seconde hypothèse semble la plus vraisemblable mais par qui aurait été commandité ce meurtre ? Par les services secrets britanniques souhaitant se débarrasser d'une espionne devenue incontrôlable ? Par Fouad Al Atrache voulant protéger l'honneur de la famille ? Par Hassan Al Atrache souhaitant se venger d'une épouse inconstante ? Par Oum Kalthoum, jalouse d'une rivale si belle et si talentueuse ? Par Ahmed Salem dont l'amour se serait transformé en haine définitive? Par la mère du roi, voulant une fois pour toute se débarrasser de celle qui avait séduit son amant ?  Aucune de ces théories n'a jamais pu être étayée par la moindre preuve. 

Amour et Vengeance sort en décembre 1944 et c’est un succès sans précédent. 


mardi 1 février 2022

Victoire de la jeunesse (intisar al-shabab, 1941)

انتصار الشباب
إخراج : أحمد بدرخان


Ahmed Badrakhan a réalisé Victoire de la Jeunesse en 1941.
Distribution : Asmahan (Nadia), Farid al-Atrache (Wahid), Abdel Fattah El Kosary (Maïtre Al Attar), Fouad Shafik (Gouz, l’un des membres du trio), Hassan Fayek (Louz, l’un des membres du trio), Hassan Kamel (Boundouk, l’un des membres du trio), Mary Mouneib (Oum Ismaïl), Bishara Wakim (le directeur du cabaret, Les Etoiles de la Nuit), Anwar Wagdi (Mahi, le fils du Pacha), Stephan Rosti (Taha Taha, le professeur de musique), Abdel Salam Al Nabulsi (Fawzy, l’ami de Mahi), Rawheya Khaled (Ehsan, la sœur de Taha), Olwya Gamil (la mère de Mahi), Aziz Sadek (le chef d’orchestre), Lotfi El Hakim (le régisseur du théâtre), Mahmoud Ismaïl (Mahmoud, l’employé du cabaret), Samia Gamal (une danseuse)
Scénario : Ahmed Badrakhan, à partir d’une histoire d’Omar Gamae
Dialogues : Badie’ Khairy
Musique : Farid Al Atrache
Production : Les Films du Nil

Abdel Fatah El Kosary

















Hassan Fayek


















Hassan Kamel

















Asmahan

















Bishara Wakim

















Anwar Wagdi

















Anwar Wagdi et Abdel Salam Al Nabulsi

















Farid Al Atrache
















Asmahan

















Stephan Rosti

















Mary Moneib

















Fouad Shafik
















Olwya Gamil

















Asmahan et Anwar Wagdi

















Farid Al Atrache

















Asmahan

















Rawheya Khaled

















Résumé

Wahid et sa sœur Nadia ont quitté la Syrie pour se rendre en Egypte. Ils sont tous les deux chanteurs et ils n’ont pas réussi à percer dans leur pays. Ils espèrent qu’en résidant au Caire, ils auront plus de d’opportunités pour faire reconnaître leur talent. Dans le train, ils font la connaissance de Maître Al Attar qui, une fois arrivés au Caire, les conduit à la pension tenue par Oum Ismaïl. Wahid et Nadia s’y installent. Ils ont pour voisins de chambre, un trio d’artistes sans le sou, Gouz, Louz et Boundouk. Les trois hommes ont entendu chanter Wahid et Nadia et ils incitent ceux-ci à présenter leur candidature avec eux au cabaret Les Etoiles de la Nuit. Bachar, le directeur, hésite puis engage les cinq artistes. Nadia sur scène fait sensation. Dans la salle, se trouve Mahi, un fils de Pacha avec Fawzi, son meilleur ami et quelques connaissances. La beauté de la chanteuse bouleverse le riche héritier et il transmet à la jeune femme une invitation à venir à sa table prendre un verre. Nadia refuse. Mahi se plaint aussitôt au directeur. Ce dernier tente de fléchir Nadia mais elle reste intraitable. Bachar décide de renvoyer le frère et la sœur. Quand Mahi l’apprend, il supplie le directeur de reprendre dans son établissement les deux chanteurs. C’est ainsi que Nadia peut à nouveau chanter sur scène sans avoir à rejoindre dans la salle les clients du cabaret après sa prestation. Un peu plus tard, Mahi invite Nadia à se produire dans son hôtel particulier lors d’une soirée entre amis. Il en profite pour lui exprimer son amour et la demander en mariage. Devenue l’épouse d’un fils de grande famille, Nadia renonce à sa carrière artistique. Bachar n’apprécie guère ce retrait et en représailles, il met à la porte Wahid et le trio comique. Pour eux, la situation devient difficile : ils ne peuvent plus payer leur loyer. Heureusement, Wahid découvre dans le journal une petite annonce informant qu’on recherche des chanteurs pour le cinéma et que des auditions ont lieu chez le professeur de musique Taha Taha. Wahid se rend aussitôt à l’adresse indiquée. Il chante devant le professeur et plusieurs personnalités du monde de la musique. Taha Taha est impressionné par le talent du jeune chanteur mais il se garde bien de lui en faire part. Au contraire, mu par la jalousie, il donne un avis très sévère sur ce qu’il vient d’entendre. Pour autant, Wahid est satisfait de son audition. Il a fait la connaissance d’Ehsan, la jeune sœur du professeur de musique et il en est instantanément tombé amoureux. Mais ce n’est pas tout : l’un de ses auditeurs, le directeur d’une maison de disques a tenu à lui exprimer toute son admiration et veut l’aider à se lancer dans le monde de la musique. C’est ainsi que Wahid se produit à la radio et devient célèbre. Il a pu louer un grand appartement pour lui tout seul mais il n’a pas rompu avec les trois artistes qui sont devenus de véritables amis. De leur côté, la situation s’est aussi améliorée : l’un d’entre eux a épousé Oum Ismaïl et à la pension ils sont désormais chez eux. En revanche, pour Nadia, son bonheur aura été de courte durée : sa belle-mère a appris que son frère était chanteur et qu’elle-même s’était produite sur des scènes de cabarets. La vieille femme ne peut accepter que des saltimbanques fasse partie de sa famille et elle ne cache pas son indignation à sa belle-fille. Elle exige que son fils divorce sur le champ. Malgré l’amour que lui porte son mari, Nadia décide de le quitter et de retourner au Caire. Découvrant la fuite de sa femme, Mahi prend sa voiture et se lance à sa poursuite. Malheureusement, arrivant en trombe sur un passage à niveau, il heurte un train et se retrouve à l’hôpital. Nadia lui rend visite et lui demande de retourner auprès de sa mère. La jeune femme s’installe dans l’appartement de son frère et peu après elle se retrouve nez à nez avec Ehsan, la sœur du professeur de musique. Elle lui fait croire qu’elle est l’épouse de Wahid. Bouleversée par cette nouvelle, Ehsan accepte d’accompagner son frère pour un grand voyage hors d’Egypte. Dans le même temps, Wahid a terminé la composition de son opérette mais il désespère de pouvoir la monter. Pour l’aider, les trois artistes comiques font croire à Bachar, le directeur des Etoiles de la Nuit, que Nadia va divorcer et qu’elle accepterait de l’épouser. Les trois compères conseillent à Bachar de produire le spectacle de Wahid s’il souhaite obtenir au plus vite la main de Nadia. Le directeur de cabaret accepte. La dernière partie du film est entièrement consacrée à la représentation de l’opérette de Wahid. Dans le public se trouvent Ehsan ainsi que Mahi et sa mère. Happy end : Taha Taha accepte que Wahid épouse sa sœur et la mère de Mahi ne s’oppose plus au bonheur de son fils et de Nadia.


Critique

Victoire de la Jeunesse constitue la première apparition d’Asmahan au cinéma. Elle joue avec son frère, Farid Al Atrache qui a aussi composé la musique du film. En 1941, cela fait à peine deux ans que la jeune chanteuse est de retour en Egypte. En 1939, elle a quitté mari et enfant restés en Syrie pour reprendre ses activités artistiques au Caire.

Victoire de la Jeunesse a été réalisée par Ahmed Badrakhan, un pionnier du cinéma égyptien qui a une expérience solide en matière de comédie musicale. Il avait déjà réalisé deux films avec Oum Kalthoum. On raconte d’ailleurs que la diva est entrée dans une colère noire en apprenant que son réalisateur allait tourner avec cette rivale, jeune, belle et terriblement talentueuse.

Dans les années quarante, la comédie musicale est le genre roi en Egypte. Le public populaire va au cinéma pour admirer les danseuses, les chanteuses et les chanteurs qui ont commencé à se faire un nom dans les cabarets de la capitale. La plupart du temps, l’intrigue est secondaire, ce qui importe ce sont les séquences chantées et dansées. Ainsi, dans Victoire de la Jeunesse, l’histoire n'est pas d'une folle originalité. : un frère et une soeur, tous les deux chanteurs, ont quitté leur pays pour s'installer au Caire en espérant y connaître le succès et la gloire. L’intrigue repose sur un cliché que le cinéma usera jusqu’à la corde : les parents fortunés qui s’opposent à ce que leur enfant se marie à un ou une «saltimbanque». Dans Victoire de la Jeunesse, le thème est doublement exploité, le frère et la sœur étant tous deux confrontés à l’hostilité de la famille de leurs bien aimés. Une hostilité qui finira par se dissiper devant le talent éclatant des deux jeunes chanteurs.

Il y a une dimension clairement autobiographique dans ce film, notamment concernant Asmahan. Nadia, le personnage qu’elle joue, a dû abandonner la chanson pour épouser l’homme qu’elle aime. Il lui a fallu aussi quitter son frère, les amis et la vie trépidante du Caire pour se cloîtrer dans la maison de la famille du mari, maison dirigée d’une main de fer par une belle-mère acariâtre. Cela fait écho au mariage d’Asmahan avec son cousin Hassan Al Atrache en 1932. Elle aussi a dû quitter Le Caire et renoncer à ses activités artistiques pour s’enfermer dans le palais de son mari, loin de tout.
A noter que l’art et la réalité continueront à s’ « alimenter » l’un l’autre puisque à l’issu de ce tournage Asmahan épousera le réalisateur Ahmed Badrakhan et que leur brève union (à peine deux mois !) déplaira à leurs familles respectives.

Le film comporte huit chansons, toutes composées par Rachid Al Atrache et les paroles de six d’entre elles ont été écrites par le poète Ahmed Rami. On retiendra surtout la grande réussite sur le plan musical de la dernière partie du film, celle consacrée à l’opérette. Solos, duos, chœurs se succèdent dans un équilibre parfait. Les mélodies mêlant les styles occidental et oriental permettent aux deux chanteurs de donner la pleine mesure de leur talent et la virtuosité vocale d’Asmahan laisse pantois.

Si le frère et la sœur sont des chanteurs exceptionnels, en revanche comme acteurs, ils se révèlent plus limités. L’un comme l’autre semble peu à l’aise et leur jeu manque de naturel. Le visage d’Asmahan est certes d’une grande beauté mais il n’est guère expressif. Pour signifier qu’elle est triste , elle tamponne sans conviction ses yeux avec un mouchoir : service minimum ! Heureusement, ils sont entourés d’acteurs plus aguerris et Beshara Wakim, le Saturnin Fabre égyptien, est incroyable en directeur de théâtre fantasque.
Mais le caractère hiératique du jeu de Farid et d’Asmahan est sans doute dû aussi à la mise en scène. Au début des années quarante, en Egypte, le modèle n’est pas encore la comédie musicale américaine mais l’opérette , d’où le style très théâtral de l’interprétation. Après la guerre, les choses changeront rapidement et l’emblème de ce changement c’est le couple artistique que Farid Al Atrache formera avec la danseuse Samia Gamal : désormais le mouvement doit primer et le drame laisse la place à la comédie. A l’aube des années cinquante, l’Egypte se convertit à l’Entertainment hollywoodien, grâce notamment au réalisateur Henry Barakat.

Victoire de la Jeunesse connut un succès considérable pendant des mois et propulsa Asmahan et Farid au rang de stars. En revanche l’accueil fut plus tiède en Syrie, notamment auprès du peuple druze (Asmahan et Farid Al Atrache appartiennent à l’une des familles les plus puissantes de la communauté druze). Le comportement d'Asmahan était unanimement condamné. Elle avait divorcé et s’était remariée à un non-druze (ce qui est formellement interdit par la tradition) et maintenant, il y avait un deuxième divorce. La coupe était pleine ! Quand Victoire de la Jeunesse fut projetée à Damas et qu'Asmahan fit son apparition sur l'écran, un spectateur dit-on se leva et tira à plusieurs reprises des coups de pistolet dans sa direction, ou du moins en direction de son image. Ambiance !

Appréciation : 4/5
****

 Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin


mercredi 16 juin 2021

Rêves de jeunesse (Ahlam Al-Shabab, 1942)

أحلام الشباب
إخراج : كمال سليم


Kamal Selim a réalisé Rêves de Jeunesse en 1942.
Distribution : Farid Al Atrache (Farid), Taheya Carioca (la danseuse Bahiya Shakashak), Madiha Yousri (Ilham), Mary Moneib (Falah Hanim, la tante d’Elham), Bishara Wakim (Ghadban Al Absi), Abbas Fares (Basiouni, l’oncle d’Elham), Mohamed Kamal El Masry (le vendeur de cigarettes), Hassan Fayek (Wagdi), Abd El Fatah El Kosary (le garde du corps de Ghadban), Sayed Suleiman (le serviteur de Farid), Fouad Fahim (le comptable de Farid), Abdel Halim Morsy (le médecin), Hassan Kamel (le propriétaire du cabaret), Gina (une danseuse du cabaret)
Scénario : Youssef Wahby et Kamal Selim
Dialogues : Badie' Khairy
Paroles des chansons : Ahmed Rami, Youssef Badrous, Aboul Seoud Al Ibiary, Bayram Al-Tunsy
Musique : Farid Al Atrache
Production : les films du Nil

Farid A Atrache et Taheya Carioca



Taheya Carioca et Bishara Wakim


Hassan Fayek



Madiha Yousri et Farid Al Atrache



Abd El Fatah El Kosary et Bishara Wakim



Farid Al Atrache et Mary Moneib



Abbas Fares et Mary Moneib



Madiha Yousri et Mohamed Kamel El Masry


















Résumé

Farid est un jeune homme riche et insouciant. Il a une passion : la musique et la chanson. Il passe l’essentiel de son temps à sortir et à courtiser les femmes. Il est un habitué du cabaret le Salon de la Gazelle Rouge et il est devenu l’amant de la danseuse Bahia, une personne au caractère bien trempé et à la jalousie féroce. Sa vie dissolue l’entraîne parfois dans des situations périlleuses. Un soir qu’il doit fuir au plus vite un appartement, il tombe du balcon et termine sa chute dans le salon du voisin du dessous, non sans avoir brisé en mille morceaux la grande fenêtre de la pièce. Ce voisin, c’est le marchand Basiouni. Il était en train de dîner avec sa femme et sa nièce qu’il a recueillie depuis qu’elle est orpheline. Pour expliquer cette arrivée spectaculaire, Farid prétend qu’il est atteint de somnambulisme. Son pied le fait atrocement souffrir. On fait venir le docteur Metwalli qui habite l’immeuble. Celui-ci impose à Farid une immobilité totale. Basiouni accepte de le garder à son domicile jusqu’à son rétablissement. Et comme Farid a prétendu qu’il était au chômage, il lui propose de donner des cours de piano à sa nièce. La jeune fille qui se prénomme Ilham n’est pas insensible au charme de leur invité surprise et ce n’est pas sans tristesse qu’elle le voit repartir chez lui, une fois qu’il peut à nouveau poser le pied à terre. Dans son hôtel particulier, Farid tombe nez à nez sur son comptable qui une nouvelle fois veut l’alerter sur sa situation financière très inquiétante. Le jeune homme n’écoute que d’une oreille car il n’a qu’une seule idée en tête rejoindre Bahia au Salon de la Gazelle Rouge. 

On découvre que Bahia est aussi courtisée par un très riche marchand, Ghadban Al Absi, qui la couvre de cadeaux et celui-ci n’apprécie guère la présence de Farid. Et quand il surprend les deux amants en train de s’embrasser, il veut aussitôt tuer son rival. Bahia lui fait croire qu’ils étaient en train de répéter un numéro pour le spectacle. C’est ainsi que Farid chante pour la première fois devant un public. Il suscite l’admiration de tous les spectateurs et le directeur du cabaret lui propose un contrat qu’il refuse.
Le lendemain, Farid se rend chez Ilham mais il y retrouve Ghadban Al Absi et son fidèle garde du corps. Basiouni, l’oncle d’Ilham et l’amoureux fortuné de Bahia avaient un rendez-vous d’affaires. Ce dernier révèle à toue la famille que Farid est un chanteur de cabaret. Cette nouvelle n’est pas du tout du goût de Basiouni qui chasse aussitôt le jeune homme. Mais Ilham ne veut pas renoncer à celui qu’elle aime passionnément. Elle se rend au Salon de la Gazelle Rouge et découvre Farid en train de sabler le champagne avec des femmes. Ilham décide de rompre. 

Pour ne rien arranger, les créanciers du jeune homme ont perdu patience. Ils s’emparent de tout ce qui lui appartenait : son hôtel particulier, ses meubles et même sa voiture. Il ne lui reste plus rien. Quand Ilham apprend la nouvelle, elle rejoint Farid pour le soutenir. Ce dernier lui offre la dernière chose qu’il possède encore : un titre de propriété sur des terres que son grand-père avait achetées dans le désert pensant y trouver des gisements d’hydrocarbures. Pour vivre, Farid accepte la proposition du directeur du Salon de la Gazelle Rouge et il devient le partenaire de scène de la volcanique Bahia. Ghadban Al Absi a enfin compris que Farid n’est plus un rival car il aime ailleurs. Il va même intervenir pour que Basiouni accepte de marier sa nièce à son amoureux. Las ! la cérémonie est gâchée par un fâcheux contretemps. La danseuse invitée n’est autre que Bahia et quand celle-ci découvre que le fiancé est Farid elle entre dans une rage folle, apostrophant son ex-amant et cassant tout ce qui se trouve à sa portée. Devant un tel scandale, Ilham s’évanouit. Basiouni chasse Farid pour la seconde fois. 

Ghabdban Al Absi décide de donner une leçon à Bahia. Avec des complices, il perturbe sa prestation sur la scène du cabaret et tout se termine par une bagarre générale. Face à ce déchaînement de violence, Bahia s’évanouit et elle est secourue par Farid. Elle comprend alors qu’elle avait été trop loin lors du mariage. Le lendemain, elle se rend chez Ilham pour s’excuser. Entretemps, la jeune orpheline et son oncle ont découvert que les terres du grand-père de Farid recèlent effectivement des gisements importants d’hydrocarbures. Farid est donc riche. Basiouni se rend lui-même au cabaret pour restituer au chanteur ses actes de propriété. Farid refuse de les reprendre. Alors Basiouni accepte de lui donner la main d’Ilham.


Critique

Rêves de jeunesse est d’abord le film d’une génération. Il réunit un petit groupe de jeunes artistes très talentueux. Le metteur en scène , Kamel Selim, n’a pas encore trente ans (Il mourra à trente-deux ans en 1945) et il a attribué tous les rôles principaux de son film à des acteurs de son âge. A part Taheya Carioca qui a déjà une solide expérience du cinéma bien qu’elle n’ait que 27 ans, tous les autres sont des débutants. Farid Al Atrache a commencé sa carrière cinématographique l’année précédente et c’est son deuxième film. Madiha Yousri a vingt-quatre ans. Elle a été découverte par Mohamed Karim cette même année et comme pour Farid Al Atrache, c’est son deuxième film.

Cette comédie musicale s’intitule Rêves de Jeunesse, un titre à la Charles Trenet et, effectivement, on retrouve dans ce film la légèreté et la fantaisie de l’univers du chanteur français. Dans ce monde, rien n’est grave, rien ne pèse, même la mort est envisagée avec une certaine désinvolture. Le personnage incarné par Farid Al Atrache aurait fort bien pu reprendre à son compte l’un des premiers succès du fou chantant « Je chante » , enregistré en 1937 : "Je chante/Je chante!/Je chante soir et matin,/Je chante sur mon chemin,/Je chante, je vais de ferme en château/Je chante pour du pain je chante pour de l'eau"
Le héros de Kamel Selim connaît des revers de fortune sans en être réellement affecté et pour survivre il devra chanter, comprenant alors que la chanson est sa seule raison de vivre.

On notera que ce personnage est ouvertement inspiré de la propre vie de Farid Al Atrache. A cette époque, le chanteur syrien est devenu une vedette grâce à la radio mais aussi grâce à son premier film, Victoire de la Jeunesse d’Ahmed Badrakhan. . Comme le héros de Rêves de Jeunesse, Farid Al Atrache passe ses nuits dans les cabarets, collectionne les conquêtes féminines et accumule les dettes (il était un joueur impénitent !)

Le héros de Rêves de Jeunesse se montre léger, frivole et parfois très maladroit , mais en toutes circonstances il garde son optimisme et surtout sa générosité. Il n’hésite pas à venir en aide à une maîtresse qui pourtant a fait échouer son mariage et il refuse qu’on lui restitue un acte de propriété qui ferait de lui un homme riche. D’ailleurs dans ce film même les méchants ont un cœur : ils sont capables de pleurer au spectacle de deux êtres qui s’aiment ! Et comme dans les contes de fées, on assiste dans le dénouement à une réconciliation générale faisant le bonheur de tous les personnages.

L’interprétation est bien sûr excellente, aussi bien pour les rôles principaux que pour les secondaires. Farid Al Atrache manifeste une agilité et une exubérance qu’il perdra au fil des années. Bishara Wakim et Abd El Fatah El Kosary forment un duo comique plein de saveur : les deux acteurs semblent beaucoup s’amuser à jouer les méchants d’opérette. Mais c’est Taheya Carioca qui emporte tout : son immense talent et sa sensualité explosive sont les atouts majeurs du film. Pour que le plaisir du spectateur soit complet, elle arbore des costumes qui ne cachent rien de sa plastique impressionnante.

Avec la Volonté sortie en 1939, Kamel Selim avait réalisé le premier film réaliste égyptien. Il y affichait ses préoccupations sociales à travers l’évocation d’un quartier populaire du Caire touché par la crise économique. Avec Rêves de Jeunesse, il prouve qu’il est tout aussi talentueux dans la comédie et il ouvre la voie à d’autres cinéastes comme Abbas Kamel ou Helmy Rafla. Ces deux réalisateurs plus âgés que lui ne tourneront leurs premiers films qu’après sa mort. A la fin des années quarante, ils offriront au public arabe des comédies spirituelles et brillantes, dans le même esprit que Rêves de Jeunesse, avant que ne s’impose sur les écrans un comique plus farcesque et plus populaire avec le règne sans partage d’Ismaïl Yassin.

Appréciation : 4/5
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Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

jeudi 30 avril 2020

Asmahan : née en 1912 ou en 1917 ?

أسمهان


Qui entreprend sur le net des recherches à propos de la vie brève mais intense d'Asmahan est d'abord frappé par la profusion de  sites, de références que les moteurs de recherches lui proposent. Mais quand il commence à les consulter un par un, une autre chose le frappe : c'est le caractère approximatif des informations données ainsi que le nombre incroyable d'erreurs, de confusions, de contradictions qui parsèment ces centaines de pages écrites dans toutes les langues du monde.
Et dès le début, le chercheur ou le simple curieux est confronté à un premier problème : quand est née la diva ? Voilà les réponses que l'on obtient (la liste n'est pas exhaustive !) 


Pour certains, elle est née en 1917 et elle meurt à l'âge de 26 ans :


-C'est le cas pour le site IMDB : "Born  November 25, 1917 in As-Suwayda, Syria   Died  July 14, 1944 in Egypt (road accident)"

https://www.imdb.com/name/nm0039543/


-Même date sur le blog culturel Dialna : "La future chanteuse est née sur un bateau nommé « Le Nil » en pleine tempête, en novembre 1917. "

http://dialna.fr/portrait-asmahan-la-sublime-femme-fatale-dorient/


-Ainsi que sur le site de musique Musicme : "Asmahan, de son vrai nom Amal El Atrache , née le 25 novembre 1917 et morte le 14 juillet 1944 en Égypte, est une chanteuse, et actrice syrienne Elle est la sœur de Farid El Atrache."

https://www.musicme.com/Asmahan/biographie/


-Dans l'Orient Le Jour, Edgar Davidian rendant compte de la biographie « Qessat Asmahan » (Histoire d’Asmahan), paru chez Dar el-Jadeed (286 pages) sous la double signature de Fouad el-Atrache et du journaliste Foumil Labib écrit :  "Née en 1917 et décédée en 1944, Asmahan (nom de scène signifiant sublime en perse), dans une existence brève et fulgurante, avait des atouts majeurs pour réussir."

https://www.lorientlejour.com/article/1144984/asmahan-joueuse-de-poker-espionne-et-superstar-des-varietes-arabes.html


-C'est aussi ce qu'affirme Silvano Castano au début de son documentaire "Asmahan, une diva orientale" (2013)   



Pour d'autres, elle est née en 1912 et meurt à l'âge de 31 ans.


-C'est la date choisie par Wikipédia : "Asmahan (en arabe : اسمهان), de son vrai nom Amal El Atrache (en arabe : آمال الأطرش), née le 25 novembre 1912 et morte le 14 juillet 1944 en Égypte"

https://fr.wikipedia.org/wiki/Asmahan


-Tout comme par le média égyptien Ahram On line : "She was born Amal Al-Atrash on 22 November 1912, and was the sister of famed composer and singer Farid Al-Atrash."
On notera que pour Ahram, elle n'est pas née le 25 novembre mais le 22.

http://english.ahram.org.eg/NewsContent/5/33/273594/Arts--Culture/Music/Remembering-Asmahan,-the-woman-and-the-legend.aspx


-C'est aussi ce qu'affirme le site tunisien Realites On Line : "De son vrai nom Amal Elatrach, Asmahane a eu une vie tumultueuse commençant par une naissance, en pleine tempête, le 25 novembre 1912 sur un bateau grec reliant Athènes à Beyrouth"

https://www.realites.com.tn/2014/07/14-juillet-1944-14-juillet-2014-70e-anniversaire-de-la-disparition-d-asmahane-le-destin-brise-dune-diva/


-Pour Valeurs Actuelles, c'est  encore 1912 :

https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/histoire/asmahan-la-diva-druze-des-allies-111391


-Et de même, pour le site Druzeworldwide :

http://www.druzeworldwide.com/DistinguishedDruze-AS.html


-Pour le site marocain Yabiladi, elle est bien née en 1912 mais elle meurt en 1944 "à l'âge de 27 ans" !!! Dans ce cas, ce n'est plus un problème d'histoire mais de calcul !

https://www.yabiladi.com/articles/details/78871/biopic-asmahan-entre-talent-artistique.html


-Étonnamment, on retrouve la même erreur de calcul dans la bible de tout passionné du cinéma égyptien, "Egypte, Cent ans de cinéma" sous la direction de Magda Wassef  (p 271) "Asmahane (1912-1944)...sa mort accidentelle à l'âge de vingt-six ans."


D'autres encore refusent de choisir et proposent  une date dans le titre et une autre date dans le corps de l'article :

Comme Elcinema :

Titre : Asmahan (1912-1944)
Dans l'article (en arabe) : "née en mer sur un cargo grec en 1917"

https://elcinema.com/person/1023469/



Enfin, Julien Mazaudier dans son dossier  sur l'Age d'Or de la Comédie Musicale Egyptienne, propose une autre date, 1918, tout en précisant "Asmahan est née (...) en 1912 ou 18 (comme pour son frère, son année de naissance est sujet à controverse)."

http://www.underscores.fr/chroniques/dossiers/2018/07/age-d-or-de-la-comedie-musicale-egyptienne-2/5/


Dans son article Asmahan's secrets paru dans la revue libanaise Al Raida, Sherifa Zuhur écrit à peu près la même chose  :"In her passport, Asmahan 's birthdate appears as 1912, but is given elsewhere as 1915, 1917 and 1918." 

file:///C:/Users/33614/Downloads/606-1194-1-SM.pdf


Mahmoud Al Zibawi, publie le 22 juillet 2018 dans la revue libanaise Almodon un long article intitulé "A la Recherche d'Asmahan" (en arabe). Il y relate de manière très précise la naissance et le développement du mythe que va devenir après sa mort la chanteuse. Concernant les dates, il rappelle ce que l'on sait avec certitude : la carrière artistique d'Asmahan commence en 1931. En janvier de cette année, le magazine Al Sabah évoque dans une brève l'apparition d'une nouvelle chanteuse du nom d'Amal Al Atrache (vrai nom d'Asmahan). C'est aussi en 1931 qu'elle enregistre ses premières chansons. Pour l'année de naissance, Mahmoud Al Zibawi, citant plusieurs sources, donne 1912. Elle aurait donc vingt ans quand elle sort ses premiers disques ou cylindres. Mais le journaliste d'Almodon nous apprend aussi que la compagnie phonographique Columbia présente sa nouvelle artiste comme une jeune chanteuse de quatorze ans (donc née en 1917). 

https://www.almodon.com/culture/


Il semble donc difficile de répondre avec certitude à cette question "Quelle est l'année de naissance d'Asmahan ?" Et il est vrai que nous rencontrons la même incertitude pour d'autres personnalités de la même époque, des personnalités qui parfois dissimulent elles-mêmes sous un épais brouillard leur date de naissance. Pour le cas d'Asmahan, je pencherais plutôt pour 1917.


Sur cette photo, on voit à gauche Farid Al Atrache, à droite Asmahan. Ces deux enfants ne peuvent avoir plus de deux ans d'écart. Au centre, derrière la mère, se tient Fouad, le frère ainé qui est nettement plus âgé que les deux autres. Il est quasiment certain que le mariage des parents a lieu en 1909 et que Fouad naît en 1911. On ne peut donc pas faire naître Asmahan en 1912, avant Farid qui est pourtant plus âgé qu'elle ! On peut en conclure que  Farid Al Atrache est né en 1915 et Asmahan en 1917.