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mercredi 31 mai 2023

La Rue du Polichinelle (Share'e Al-Bahlawan, 1949)

شارع البهلوان
إخراج : صلاح ابو سيف


Salah Abou Seif a réalisé La Rue du Polichinelle en 1949.

Distribution : Camilia (Amina Shawkat), Kamal El Shennawi (Saïd), Lola Sedky (Mervat), Hassan Fayek (Kamel), Ismail Yassin (Khamis), Zinat Sedki (Zahira), Abdel Hamid Zaki (Ibrahim), Elias Moadab (le propriétaire de l’appartement), Hassan Kamel (le médecin), Gracia Qassin (la tante de Saïd), Mohamed Abu El Saoud (le chef cuisinier), Abdel Moneim Ismail (le policier), Hosna Solomon (la servante), Aly Abd El Al (l’amoureux d’Amina)
Scénario : Salah Abou Seif, Ali El-Zorkani, Abdel Halim Morsy
Musique : Fathy Qoura, Mohamed Hassan Al Shugai
Production : les films Gabriel Talhami

Lola Sedky



Kamal Al Shennawi et Camilia



Kamal Al Shennawi et Camilia



Kamal Al Shennawi et Hassan Fayek



Zinat Sedky et Shafiq Nour El Din



Ali Abd El Al et Kamal Al Shennawi



Abdel Hamid Zaki et Hassan Fayek



Gracia Qassin



Ismaïl Yassin et Hosna Suliman

















Résumé

   Saïd, Kamel et Ibrahim sont trois amis qui dirigent ensemble une grande entreprise. L’histoire commence le jour du mariage d’Ibrahim avec une jeune femme prénommée Mervat. Saïd et sa jeune épouse Amina se préparent pour la cérémonie. Comme d’habitude, la tension est extrême entre les deux époux à cause de la jalousie féroce du mari. Ce dernier reproche à sa femme de tout faire pour susciter le désir des autres hommes en portant des tenues provocantes. Pour ne rien arranger, la vieille tante de Saïd vit avec eux et celle-ci n’a qu’un objectif : inciter son neveu à divorcer pour qu’il épouse sa fille.

Pendant ce temps là, la cérémonie nuptiale a commencé. Kamel est déjà là avec sa femme Zahira, une artiste peintre au caractère bien trempé. Quand il découvre Mervat, l’épouse de son ami Ibrahim, il en tombe instantanément amoureux et ne s’en cache pas, mettant dans l’embarras la jeune femme. Arrivent enfin Saïd et Amina. Immédiatement, cette dernière attire le regard des hommes présents et suscite leurs commentaires flatteurs. Très vite, un certain nombre d’invités fait cercle autour d’elle. Saïd, fou de rage, se jette sur les admirateurs de sa femme. La bagarre est générale.

Peu de temps après, Saïd pense avoir trouvé le moyen infaillible de surveiller sa femme. Kamel a des dons d’hypnotiseur et il a plongé dans un sommeil profond un acolyte qui ainsi peut suivre en esprit les faits et gestes d’Amina. Le compte-rendu de l’hypnotisé est sans ambiguïté : Saïd a un rival ! Sans attendre, l’infortuné rentre chez lui et évidemment Amina ne s’y trouve pas. Quand elle rentre, la crise est terrible mais Saïd finira par comprendre qu’il s’est trompé. Malheureusement le jaloux devra affronter une autre épreuve : encouragée par Zahira et Mervat, Amina se présentera à un concours de beauté et sera élue reine de l’année. Un magazine publiera même sa photo en première page !

Mais revenons aux deux autres couples. Les nouveaux mariés se sont rendus chez Kamel et Zahira car Ibrahim souhaite que la femme de son ami fasse un portrait de Mervat. Quand Kamel découvre celle-ci posant en maillot de bain dans l’atelier de sa femme, il n’y tient plus : il faut qu’elle devienne sa maîtresse. Pour cela, il a une idée : il va lui envoyer une lettre d’amour mais pour ne pas être démasqué, il demande à Saïd de la recopier et de la signer sous un faux nom sans lui révéler que c’est pour la femme de leur ami. Saïd entrevoit une nouvelle occasion de tester sa propre femme : il lui enverra la lettre originale écrite de la main de Kamel. Pour parfaire leur plan, les deux amis décident de louer un appartement qui sera l’adresse d’Hassan Al-Muhallab, l’auteur fictif de la double déclaration d’amour. 

Comme Kamel l’espérait, Mervat est touchée par la lettre et elle accepte un rendez-vous dans l’appartement. En revanche, Amina n’est pas du tout séduite et elle n’hésite pas à se confier à Zahira en lui montrant ce qu’elle reçoit. L’artiste peintre reconnaît l’écriture de son mari. Elle veut le confondre et demande à Amina de l’accompagner à l’adresse indiquée sur la lettre.

C’est ainsi que tout le monde va se retrouver dans l’appartement, soit pour y débuter une relation adultère, soit pour y surprendre les conjoints infidèles. Pour Ibrahim qui est venu comme témoin à la requête de Saïd, la découverte de sa femme dans cette garçonnière est une cruelle désillusion, lui qui croyait avoir une épouse soumise et vertueuse. Kamel qui était arrivé les bras chargé de cadeaux peut difficilement cacher la raison véritable de sa présence ici et il va lui falloir subir l’ire de sa femme. En revanche, tout est bien qui finit bien pour Saïd et Amina : Saïd est définitivement convaincu de l’amour et de la fidélité de celle qui partage sa vie.

............

A propos du tournage de ce film, on retrouve dans moult publications, une anecdote très célèbre impliquant Camilia et Kamal Al Shennawi, les deux vedettes de cette comédie. Ce serait le réalisateur lui-même qui l’aurait révélé dans un entretien ou peut-être dans un récit (Je n’ai pas pu vérifier.) Salah Abou Seif raconte qu’il s’apprête à tourner une scène dans laquelle les deux acteurs doivent s’embrasser de manière passionnée. Malheureusement, Kamal Al Shennawi refuse de jouer car c’est le mois du Ramadan et il est impensable pour lui d’embrasser sa partenaire, du moins avant l’iftar. Salah Abou Seif devra déployer des trésors de diplomatie pour convaincre le jeune premier de tourner la scène. Entretemps, Camilia a appris que Kamal Al Shennawi ne veut pas l’embrasser et elle le prend très mal, refusant à son tour de jouer. La scène se fait enfin et, aux dires du réalisateur lui-même, ce baiser fut l’un des plus beaux qu’il ait tourné, un baiser d’une telle fougue et d’une telle sensualité que les censeurs ne manquèrent pas de s’en émouvoir.




Critique

Salah Abou Seif est surtout connu pour ses drames réalistes. Cette Rue du Polichinelle est l’une de ses rares comédies parmi lesquelles on trouve tout de même l’un de ses chefs d’œuvre Entre Ciel et Terre qui date de 1959.

Ce film de 1949 est bien dans l’air du temps . A la fin de ces années 40, la mode est à la comédie légère et brillante à la manière du grand maître du genre, Helmy Rafla. Et l’une des vedettes que l’on retrouve dans bon nombre de ces productions, c’est la délicieuse Camilia. Cette dernière fait ses premiers pas au cinéma en 1947 et elle devient une star en 1949, un statut dont elle jouira très brièvement puisqu’elle mourra tragiquement en 1950 dans un accident d’avion. En quelques années, elle va tourner avec les cinéastes les plus renommés : Hussein Fawzi, Niazi Mostafa, Helmy Rafla, Ezzel Dine Zulficar et donc Salah Abou Seif. Une question nous vient à l’esprit : ce dernier a-t-il choisi Camilia parce qu’il allait tourner une comédie ou choisit-il de faire une comédie parce qu’il veut (doit ?) tourner avec Camilia ? Dans tous les cas il se lance dans l’aventure avec la détermination et avec la rigueur qui le caractérise.

Salah Abou Seif et ses scénaristes ont certainement beaucoup étudié les vaudevilles français du XIXe siècle où se succèdent les quiproquos et les situations les plus farfelus. Cette dimension théâtrale est clairement revendiquée : ce film a été tourné exclusivement en intérieur à l’exception d’une scène. Aucun procédé du vaudeville n’est oublié : on retrouve le rythme effréné des actions, les traditionnels jeux de cache-cache d’une pièce à l’autre, la minutie dans le réglage du mouvement afin que tous les effets fassent mouche. On retrouve aussi la satire du monde bourgeois avec sa galerie de personnages haut en couleur, maîtres ou valets. Certains se livrent avec plus ou moins de succès à l’adultère (dans le rôle du bourgeois à la recherche d’une bonne fortune, Hassan Fayek est inégalable.), d’autres défendent sans relâche la vertu assiégée de leurs épouses (l’excellent Kamal Al Shennawi qui d’ordinaire joue plutôt les amants.). Et comme il se doit, un personnage féminin en dessous affriolants sera surpris dans une situation très compromettante (Ici, c’est Lola Sedki qui s’y colle et elle est épatante !). En fait cette Rue du Polichinelle se présente comme l’équivalent égyptien de l’Hôtel du Libre Echange de Georges Feydeau. On notera enfin le caractère très féministe du film : tous les hommes sont dépeints de manière ridicule et ceux qui ont voulu attenter à la liberté de leurs femmes sont sévèrement punis.

Bref, La Rue du Polichinelle est une comédie irrésistible qui n’a aucunement vieilli.

Appréciation : 5/5
*****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

vendredi 24 avril 2020

La Veuve Joyeuse (El armala el tarub, 1956)

الأرملة الطروب
إخراج : حلمى رفلة



Helmy Rafla a réalisé La Veuve Joyeuse en 1956.
Distribution : Leila Fawzi (Samira, la fille d’Abdel Aal), Kamal Al Shennawi (Magdy), Abdel Salam Al Nabulsi (Asim Bey Kayamakli), Zinat Sedki (la femme de chambre de Samira), Hassan Fayek (Abdel Aal, le père de Samira), Adly Kasseb (Mahdi Effendi), Mohamed Gamal (Hechmat), Zeinat Olwi (danseuse), Kitty (danseuse), Victoria Hobeika (la mère d’Hechmat)
Scénario : Aboul Seoud Al Ibiary, Helmy Rafla, Mustafa El Sayed, Fathy Qoura
Musique : Mohamed Gamal et Mahmoud El Sherif

Hassan Fayek et Kamal Al Shennawi

Leila Fawzi

Mohamed Gamal

Leila Fawzi et Kamal Al Shennawi

Hassan Fayek

Kamal Al Shennawi et Mohamed Gamal

Abdel Salam Al Nabulsi et Leila Fawzi

Zinat Sedki et Leila Fawzi

Kitty




Résumé

Abdel Aal aime l’argent et la bonne chère. Il a forcé sa fille Samira à épouser Rostom Bey Kayamakli, un riche turc de quarante ans son aîné. Samira s’est installée dans le pays de son mari et a mené une vie luxueuse mais sans amour. 
Au bout de cinq ans de vie commune, son mari meurt. Toute la famille est réunie pour entendre les dernières volonté du défunt : sa veuve jouira de sa fortune tant qu’elle restera seule. Si elle se remariait, l’héritage reviendrait à sa famille. Au cas où elle mourrait, en étant restée célibataire, c’est son père qui récupérerait l’argent de Rostom. Asim Bey Kayamakli, le frère du défunt, est prêt à tout pour que cette fortune reste dans leur famille. Il a trouvé la solution : il va épouser Samira. Quand cette dernière lui signifie son refus d’un tel « arrangement », il menace de la tuer. Elle est obligée d’accepter. Mais profitant de l’absence de son beau-frère, elle fuit en compagnie de Lawahiz, sa servante et rentre en Egypte. 
 Asim Bey constatant le départ de sa « future femme », contacte un parent résidant en Egypte, Mahdi Effendi, un haut fonctionnaire, sous-secrétaire d’état. Celui-ci a une idée : il convoque Magdy, un parent lui aussi, qui travaille dans l’administration et qui est célèbre pour ses conquêtes féminines. Il lui donne une mission : il sera généreusement récompensé s’il parvient à séduire Samira et à l’épouser. Magdy se présente au domicile de l’héritière tant convoitée. Dans le jardin, il voit une femme courir après une poule : c’est Samira. Il est frappé par sa beauté et il est très étonné d’apprendre pas la bouche de celle-ci qu’elle n’est qu’une simple servante. Elle le devance dans la maison pour prévenir sa maîtresse, dit-elle. Samira demande à sa femme de chambre de se faire passer pour elle. Lawahiz reçoit avec rudesse le visiteur qui est interloqué par cet accueil. Ils sont rejoints peu après par le père de Samira qui lui aussi est mis dans la confidence. Il est enchanté de ce tour, ne souhaitant évidemment pas que sa fille se marie et que son héritage tombe dans l’escarcelle d’Asim Bey Kayamakli. 
La difficulté, c’est que Magdy est tombé amoureux de Samira, toute servante qu’elle prétend être et Samira, elle aussi finit par succomber au charme du nouveau venu. Naturellement, Magdy refuse de rester le complice d’Asim er de Mahdy et quand le frère du défunt arrive en Egypte pour vérifier le bon déroulement des opérations, le jeune homme lui annonce qu’il est désormais impossible pour lui d’épouser Samira. Heureusement, le remplaçant est tout trouvé : c’est Hechmat, un jeune collègue de Magdy qui accepte la mission. Le lendemain, Asim, déguisé en vieille femme et accompagné d’Hechmat, rencontre le père de Samira. Il prétend être la mère du garçon et il vient demander en son nom la main de la jeune fille. Il précise que la dot sera importante. Abdel Aal, sachant qu’il n’est pas question de sa fille mais de Lawahiz, accepte volontiers ce projet d’union. 
Une réception est organisée pour officialiser les fiançailles. Asim Bey Kayamakli y paraît, toujours déguisée en vieille femme. Malheureusement pour lui, la véritable mère d’Hechmat fait son apparition et le démasque. C’est alors que tous les masques tombent. Magdy comprend que la femme qu’il aime est bien Samira, l’héritière de Rostom, Abdel Aal découvre que sa fille est amoureuse de Magdy, ce qui compromet leur chance de conserver l’héritage. Abdel Aal chasse Magdy de chez lui et enferme sa fille dans sa chambre. Pendant ce temps-là, Asim Bey Kayamakli ne s’avoue pas vaincu. Il enlève Samira mais celle-ci parvient à s’échapper. Elle se rend aussitôt chez Magdy pour tenter de s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé à lui cacher son identité. Son bien-aimé n’ a guère apprécié d’avoir été ainsi trompé et il lui marque une très grande froideur. Tous les autres protagonistes de l’histoire font leur apparition et chacun veut faire valoir ses revendications à l’imam qui les a accompagnés. Il faut que Samira menace de se jeter dans le vide pour qu’enfin on accepte de prendre en compte ses propres désirs et volontés.


Critique

Cette Veuve Joyeuse est un petit chef d’œuvre, une comédie brillante qui illustre admirablement ce que l’âge d’or du cinéma égyptien fut capable de produire grâce aux talents conjoints de ses acteurs, de ses réalisateurs et de ses scénaristes. Pendant une vingtaine d’années, ces artistes offrirent au public d’innombrables films qui sont aujourd’hui devenus des classiques, aussi bien dans le drame que dans la comédie. La formule « Hollywood sur le Nil »n’ était alors nullement galvaudée. A partir des années soixante-dix, le secret de ce savoir-faire semble progressivement se perdre et dans les années quatre-vingt, le cinéma égyptien n’est plus que l’ombre de lui-même, tentant de survivre en proposant des films dont on dissimulait la médiocrité par un discours prétendument « engagé ». Evidemment, il y eut des exceptions mais trop peu nombreuses pour influer en quoi que ce soit sur une tendance bien regrettable. 
Revenons donc à notre Veuve Joyeuse, paradigme de la comédie pétillante de ces années cinquante. C’est un divertissement, certes mais un divertissement haut de gamme. Nous avons d’abord une intrigue à la Marivaux : la servante et la maîtresse qui échangent leur rôle, un séducteur cynique qui découvre soudain l’amour véritable. Le scénariste, Aboul Seoud Al Ibiary (ici, au zénith de son talent) multiplie les rebondissements, sans tordre le cou à la vraisemblance mais sans rien s’interdire : les deux héros font connaissance en poursuivant une poule ! Nous avons aussi un réalisateur, Helmy Rafla, qui filme cette histoire, avec une légèreté, une élégance hors pair, ce qui permet à cette Veuve Joyeuse de rivaliser avec les meilleures comédies d’Hollywood. On pense plus d’une fois à Howard Hawks, le réalisateur de Chéri, je me sens rajeunir ou des Hommes préfèrent les Blondes. Autre qualité du film : Helmy Rafla parvient à faire rire son public tout en veillant à garder une touche romantique à son histoire et certaines scènes sont d’une grande beauté comme celle du baiser dans l’arbre ou bien celle de l’héroïne au bain entourée de ses servantes. 
Si l’intention première des auteurs de ce film est d’amuser le public, ils ne s’interdisent pas d’évoquer des sujets graves, comme celui de la condition féminine dans la société musulmane. En effet, cette Veuve joyeuse est tout sauf joyeuse. Non seulement, elle a été « vendue » par son père à un homme qui a quarante ans de plus qu’elle, mais celui-ci mort, il lui est interdit de refaire sa vie comme elle l’entend et elle retombe sous l’autorité d’un beau-frère et d’un père qui ont pour seul souci, non son bonheur mais leur intérêt personnel. Et l’un comme l’autre n’hésite pas à la menacer d’une arme pour obtenir de sa part soumission et obéissance. Pour l’héroïne, la situation devient insupportable et elle devra menacer à son tour de se suicider pour qu’on daigne enfin l’entendre. 
Enfin, la grande réussite de ce film tient aussi à la qualité de l’interprétation et notamment à la prestation époustouflante de Leila Fawzi dont le naturel, la sensibilité et bien sûr la beauté en font l’égale de Katharine Hepburn. 
A propos d’interprétation, on notera l'absence d’Ismaïl Yassin au générique. A l’époque, c'est tout à fait exceptionnel car cet acteur règne sans partage sur la comédie populaire. Helmy Rafla tournera avec lui 22 films et, rien qu'en 1956, année de la sortie de La Veuve Joyeuse, Ismaïl Yassin est présent sur les écrans de cinéma égyptiens avec pas moins de neuf films ! Une omniprésence qui finira d’ailleurs par lasser son public. Sans vouloir offenser quiconque, on peut supposer que cette absence a sans doute contribué à la qualité de notre comédie : si Ismaïl Yassin y avait participé, nul doute que l'atmosphère et l'esprit en eussent été radicalement changés, la vedette comique y aurait imposé son style, celui de la farce parfois un peu grossière, à mille lieues donc de cette Veuve Joyeuse (Même si on peut considérer le travestissement d'Abdel Salam Al Nabulsi dans la dernière partie du film comme un hommage à l'interprète de Mademoiselle Hanafi !) .

Appréciation : 5/5
*****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

vendredi 24 février 2017

Je ne dors pas (La Anam, 1957)


لا أنام
إخراج : صلاح ابو سيف


Salah Abou Seif a réalisé Je ne dors pas en 1957.
D'après un roman d'Ihsan Abdul Quddus
Distribution : Mariam Fakhr Eddine (Safia), Yehia Chahine (Ahmed), Faten Hamama (Nadia), Hind Rostom (Kawsar), Imad Hamdi (Mostafa), Rushdy Abaza (Samir), Omar Sharif (Aziz)
Scénario : Salah Ezz Eddin, Saleh Gawdat, El Sayed Bedeir
Musique : Fouad El Zahry


Mariam Fakhr Eddine, Yehia Chahine, Faten Hamama

Hind Rostom et Faten Hamama

Hind Rostom, Yehia Chahine, Faten Hamama

Faten Hamama

Rushdy Abaza et Hind Rostom

Rushdy Abaza et Omar Sharif

Hind Rostom, Faten Hamama, Yehia Chahine

Yehia Chahine et Faten Hamama

Faten Hamama

Faten Hamama et Imad Hamdi

Imad Hamdi

Mariam Fakhr Eddine et Yehia Chahine

Faten Hamama

Imad Hamdi


Résumé

Nadia Lotfi vit avec son père, Ahmed, qui a divorcé de sa mère quand elle était encore petite fille. Il ne s’est jamais remarié pour se consacrer entièrement à son éducation. Mais alors qu’elle a 16 ans, Ahmed rencontre Safia, une jeune femme à la beauté aristocratique. Il en tombe follement amoureux et l’épouse. Nadia ne supporte pas qu’une femme puisse prendre sa place auprès de son père. Pour oublier ses tourments, elle noue en secret une relation amoureuse avec Mostafa, un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Un soir, lors d’une fête, Mostafa fait la connaissance d’Ahmed et de sa nouvelle épouse. Il est sous le charme de Safia et Nadia s’en aperçoit. La jeune femme, folle de jalousie, décide d’éliminer cette encombrante belle-mère. Elle fait croire à son père que sa femme entretient une relation adultère avec son jeune oncle Aziz qui vit avec eux. Le cocu imaginaire chasse sa femme de son domicile. Nadia peut reprendre sa place dans le cœur d’Ahmed, la première. Mais au fil du temps, la jeune femme comprend qu’elle a mal agi. Le sentiment de culpabilité la ronge. Alors quand à Alexandrie, elle retrouve Kawsar, une amie de lycée au sex-appeal dévastateur, elle s’empresse de la présenter à son père. Le quadragénaire est aussitôt séduit par la camarade de sa fille. Il l’épouse. Nadia croit avoir réparé la faute qu’elle avait commise en calomniant Safia, mais elle découvre très vite que Kawsar a un amant et qu’elle projette de s’accaparer la fortune de son mari pour vivre avec cet homme. Nadia ne sait plus que faire : elle ne veut pas ruiner le tout nouveau bonheur de son père. Comble de malheur pour la jeune femme : un jour, Ahmed surprend sa femme et sa fille en compagnie de Samir, l’amant de la première. Nadia est obligée de faire croire à son père que l’homme est amoureux d’elle et qu’il souhaite l’épouser. Ahmed est enchanté : il décide d’organiser le mariage au plus vite. Ne sachant comment réagir, Nadia se rend chez Mostafa pour obtenir une aide, un soutien. Dans l’appartement de celui-ci, elle trouve Safia, son ex-belle-mère qui partage désormais la vie de son vieil amoureux. Elle fuit aussitôt et retourne chez elle. Elle se résigne à accepter le mariage. Heureusement, Aziz, son jeune oncle, reparaît. Elle lui explique la situation. Aziz est indigné. Il fera tout pour annuler la cérémonie. Le jour J, grâce à son intervention, les deux amants son démasqués. Nadia s’est réfugiée dans sa chambre. Par un malheureux concours de circonstances, un cierge enflamme sa robe de mariée. Son père et son oncle parviennent à la sauver mais son corps restera à jamais marqué par cet accident.

Ce film est donc l'adaptation d'un roman d'Ishan Abdul Quddus, auteur très célèbre dans le monde arabe mais totalement inconnu en Occident. Ce qui est troublant dans ce Je ne dors pas ce sont les similitudes avec Bonjour Tristesse, le premier livre de la romancière française Françoise Sagan, paru en 1954. Les ressemblances sont si nombreuses qu'on peut douter qu'elles soient uniquement le fruit du hasard. Il serait excessif de parler de plagiat mais on peut penser à juste titre qu'Ishan Abdul Quddus s'est inspiré de l'oeuvre de sa jeune consoeur.
Bonjour Tristesse a fait lui aussi l'objet d'une adaptation cinématographique. C'est Otto Preminger qui la réalise en 1958.




Critique

Le film de Salah Abou Seif est un chef d’œuvre qui non seulement marquera l’histoire du cinéma égyptien mais connaîtra un immense succès populaire dès sa sortie.
Les raisons de ce succès sont diverses : c’était l’un des premiers films en couleur, il réunissait sept des plus grandes stars du moment et parmi elles, le couple mythique du cinéma égyptien : Faten Hamama et Omar Sharif, les décors, les costumes évoquaient un univers luxueux et chatoyant très proches de celui représenté dans les drames hollywoodiens de la même époque, enfin l’intrigue avait tout pour attirer un large public : de l’amour, de la séduction, de la jalousie, de la trahison, de la vengeance. Un soap opera à l’Egyptienne enrobé d’une partition somptueuse avec envolées de violons mélodramatiques, une partition signée Fouad Al Dhahery, l’un des plus grands compositeurs de musique de films.
Mais si ce film constitue une étape importante dans le cinéma égyptien, c’est surtout parce qu’il ose briser les règles de la bienséance et les conventions qui régissaient la construction des personnages jusqu’alors. Salah Abou Seif et son scénariste font preuve d’une audace toute particulière pour l’héroïne incarnée par Faten Hamama. On raconte que la star fut un peu effrayée par son personnage et qu’elle craignait beaucoup les réactions de son public. Qu’on en juge : elle doit jouer une jeune fille qui éprouve un amour presque incestueux pour son père, un amour qui la conduit à tout faire pour saccager le bonheur de celui-ci, une jeune fille qui se jette dans les bras d’un homme deux fois plus âgé qu’elle, une jeune fille qui ment à ceux qui l’aiment, une jeune fille malheureuse qui répand le malheur autour d’elle. Et malgré cela, le personnage doit garder toute l’innocence et la fraîcheur de l’adolescente à peine sortie de l’enfance. Seule, Faten Hamama était capable de rendre toute la complexité de cette Nadia par son incroyable talent et notamment grâce à cette voix inimitable qui nous raconte sur le ton de la confession cette terrible histoire. Ce personnage, loin des clichés de l’époque, reste l’un des plus mémorables de sa longue carrière.
Je ne Dors Pas est rarement diffusé à la télévision car il choque encore. Des scènes ont soulevé l’indignation des traditionalistes comme celle on l’on voit Nadia, l’héroïne, se changer dans l’ascenseur avant de retrouver son amant, ou bien encore celle où elle écoute à travers la porte son père et sa nouvelle épouse dans l’intimité de leur chambre. Et le châtiment qu’elle s’inflige dans la dernière partie du film ne suffira pas à calmer le courroux des censeurs.
Il n’empêche que le personnage de Nadia Lotfi marquera profondément les esprits au point que la jeune actrice Paula Mohammed Shafiq choisira ce nom comme pseudonyme dès son premier film en 1958.

Appréciation : 5/5
 *****

En 1957, Salah Abou Seif et Ishan Abdul Quddus collaborent à un autre film : l'Impasse, avec de nouveau dans le rôle principal, Faten Hamama.


Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

mardi 31 janvier 2017

Le Voleur et les Chiens (El less wal kilab, 1962)


اللص والكلاب 
إخراج : كمال الشيخ


Kamal El Sheikh a réalisé Le Voleur et les Chiens en 1962.
D'après un roman de Naguib Mahfouz
Distribution : Chukry Sarhan (Saïd Mohamed Mahran), Shadia (Noura), Kamal Al Shennawi (Rauf Alwan), Zein El Ashmawy (Alish Sidra, l’ancien complice de Saïd), Salwa Mahmoud (Naboui, la femme de Saïd), Adly Kasseb (Cheikh Alarah), Salah Gaheen (le marhand de vin), Ikram Izou (Sana, la fille de Saïd), Salah Mansour (le compagnon de cellule de Saïd), Samia Mohamed (la voisine de Noura), Fifi Youssef (une prostituée)
Scénario : Sabri Ezzat
Musique : André Ryder
Chukry Sarhan

Kamal Al Shennawi

Kamal al Shennawi et Chukry Sarhan

Shadia

Kamal Al Shennawi

Zein Al Ashmawi

Salah Gaheen et Shadia

Shadia

Salwa Mahmoud


Résumé

Adapté de l'un des chefs d'oeuvre de Naguib Mahfouz. Une adaptation réalisée à peine un an après la parution du roman.
Said est un voleur. Il est marié et a une petite fille. Il ne sait pas qu’Alish, son associé, entretient une liaison avec sa femme. Lors d’un cambriolage, Alish téléphone au commissariat pour dénoncer Said. Quand ce dernier sort de la maison, il est accueilli par la police. Les juges le condamnent à cinq années de prison. Said sympathise immédiatement avec le détenu qui partage sa cellule. Il se confie et lui raconte comment il a débuté dans la délinquance. 
Il était chargé d’entretien dans une université. Un jour il est accusé d’avoir volé la montre de l’un des étudiants. Il nie mais on retrouve l’objet dans sa chambre. Raouf Elwan intervient et le sauve de ce mauvais pas. Raouf Elwan est un étudiant très brillant qui s’est pris d’affection pour Said. Il l’a incité à se cultiver et à lire des livres, il lui a inculqué sa philosophie : dans une société inégalitaire, le vol des riches par les plus pauvres est non seulement inévitable mais nécessaire. 
Said est libéré avant la fin de sa peine pour bonne conduite. Il retourne dans son quartier et se présente au domicile d’Alish et de son ex-femme. Il souhaite revoir sa fille mais celle-ci ne le reconnaît pas et prend peur quand il tente de l’embrasser. Bouleversé, Said renonce à faire valoir ses droits paternels. Il se rend chez son ancien protecteur, Raouf Elwan. Celui-ci est devenu un célèbre journaliste. Said lui demande de l’aider à trouver un emploi mais Raouf refuse. Pour se venger, la nuit venue, l’ancien voleur pénètre dans la luxueuse maison de son « ami ». Ce dernier le reçoit, pistolet à la main. Il le chasse mais ne prévient pas la police. 
Said voit régulièrement Nour, une prostituée qu’il connaissait avant son incarcération. Avec sa complicité, il vole la voiture de l’un de ses clients. Il en a besoin pour réaliser le projet qui le hante depuis des années : tuer son ex-femme et Alish. Une nuit, il se présente à la porte de son ancien appartement, brise la vitre et tire. Il ne sait pas que le couple avait déménagé. Il a tué le nouveau locataire. Raouf Elwan s’empare de l’affaire et compte l’exploiter pour accroître les ventes de son journal. Said s’est réfugié chez Nour. Malgré le crime qu’il a commis et la campagne de presse orchestrée contre lui par Raouf, il s’active toujours pour retrouver celui qui lui a volé sa femme et sa fille. Nour le supplie d’abandonner : elle ne veut pas le perdre. Mais Said s’obstine : cette vengeance est devenue une idée fixe. Un soir, Nour éprouve des douleurs intolérables à l’abdomen. Said doit chercher de toute urgence un médicament à la pharmacie. Le pharmacien le reconnaît. C’est ainsi que la police retrouve sa trace. Après une longue traque, Said est abattu sous les yeux de Nour.


Critique

Le Voleur et les Chiens est l’un des romans les plus célèbres de Naguib Mahfouz. Il date de 1961. C’est une œuvre très sombre. Le personnage principal est Saïd Mahrane, un voleur. Il a fait quatre ans de prison à cause de son complice qui l’a dénoncé à la police pour pouvoir lui ravir sa femme et sa fille. Après sa libération, ne sachant plus à quoi se raccrocher, Saïd tente de reprendre contact avec Raouf Elouane, l’intellectuel qui lui a enseigné la révolte contre cette société injuste. Désormais celui-ci est devenu une personnalité, il dirige un grand journal et a enterré tous ses idéaux de jeunesse. Il rejette son ancien disciple. Bref Saïd est seul et il ne souhaite plus qu’une chose : se venger de tous ceux qui l’on trahi. A travers ce destin tragique d’un homme qui a tout perdu et qui est emporté dans la spirale infernale du ressentiment et de la haine, Naguib Mahfouz fait un bilan désenchanté du régime nassérien. Dix ans que la révolution a eu lieu et les espoirs qu’elle avait fait naître ont été très vite déçus. Alors le peuple égyptien est retourné à ses vieux démons : le désespoir et le fatalisme.
Le film restitue de manière très fidèle l’esprit du roman de Naguib Mahfouz. Kamal Al Cheikh n’a pas tenté pour des raisons commerciales d’atténuer la noirceur du propos. Il a adopté une esthétique âpre, sans concession. Toutes les scènes baignent dans une atmosphère sinistre : souvent de nuit, dans des lieux fermés. En fait, le personnage principal semble aller de prison en prison et cette impression est renforcée par la présence constante de barreaux dans tous les lieux qu’il traverse : barreaux de lits, de portes d’entrée ou de fenêtres. Poursuivi pour un double meurtre, Saïd finira sa course bloqué dans une mosquée dont le gardien a fermé à clef la grille. Fait comme un rat, il meurt sous les balles des policiers.  Ainsi ce thriller qui use avec brio de tous les procédés du film noir américain rappelle aussi par le retour constant de certains thèmes l’univers de Kafka, parenté qui devient explicite (un peu trop ?) dans la scène fantasmée du procès.
A l’aube des années soixante, Kamal Al Cheikh choisit d’adapter une œuvre dont les deux héros sont un criminel et une prostituée. C’est déjà un véritable révolution pour l’époque mais ce qui fait la grande modernité de l’œuvre, c’est le regard que porte le réalisateur sur ses deux personnages : aucun jugement, aucune condamnation morale. Concernant le personnage de Saïd, il se contente d’en souligner la complexité : à la fois victime (il a été dénoncé, trahi, abandonné, manipulé) et bourreau (il n’éprouve aucun remords quand il tue par erreur des innocents). Mais ce qui sauve celui-ci de l’abjection, c’est sa grande naïveté : il croit en la justice et en la générosité sans voir que ces valeurs n’ont plus cours dans l’Egypte post-révolutionnaire. Il y a aussi une tendresse évidente du cinéaste pour Nour la prostituée qui croit enfin le bonheur à portée de main avant que tout s’écroule (Ironie : Nour signifie lumière en arabe !). De toute manière, elle et son compagnon étaient condamnés d’avance : ils ne sont pas faits pour cette société qui protège les corrompus mais qui n’a aucune pitié pour les plus faibles. Le Voleur et les Chiens est donc à la fois un thriller, une tragédie et un réquisitoire.
Un dernier mot concernant l'interprétation : Shadia et Shukry Sarhan sont deux acteurs exceptionnels. Dans ce film, ils en font la démonstration éclatante.

Le roman de Naguib Mahfouz a aussi fait l'objet d'une adaptation pour une série télévisée en 1975.

Appréciation : 5/5
*****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

samedi 12 novembre 2016

L'Appel du Courlis (Doa al karawan, 1959)

دعاء الكروان
إخراج : هنري بركات


Henry Barakat a réalisé L'Appel du Courlis (ou La Prière du Rossignol) en 1959.
Distribution : Ahmed Mazhar, Hussein Ismail, Faten Hamama, Edmond Tuema, Ragaa El Geddawy, Hussein Asar, Nahed Samir, Abdelalim Khattab, Mimi Shakib
Adaptation du roman de Taha Hussein, L'Appel du Courlis (1934)
Scénario : Henry Barakat et Youssef Gohar
Musique : André Ryder
Ahmed Mazhar

Faten Hamama et Hussein Ismail

Edmond Tuema

Faten Hamama

Faten Hamama

Ragaa El Geddawy et Faten Hamama

Faten Hamama

Faten Hamama et Zahrat Al Oula

Nahed Samir, Ragaa El Geddawy, Hussein Asar

Faten Hamama

Ahmed Mazhar et Faten Hamama

à droite, Abdelalim Khattab

Faten Hamama, Mimi Shakib


Résumé

Drame. Bani Warkan est une petite ville au cœur des montagnes où vit Amina avec sa sœur Hanadi et ses parents, Khader et Zarah. Cette famille de bédouins mène une existence laborieuse mais les trois femmes sont courageuses. Malheureusement, le père est un débauché qui dépense tout son argent dans les plaisirs. Un jour, c'est le drame : il est assassiné. L'oncle Khal Jaber ordonne à sa sœur et à ses nièces de quitter le pays, le temps que les gens oublient le scandale. Les trois femmes se lancent dans un long périple qui les mène dans une ville. Elles louent une petite maison mais il faut trouver du travail au plus vite. Grâce à un intermédiaire, les deux filles sont embauchées comme femme de chambre.. Hanadi doit travailler chez l’ingénieur en charge de l’irrigation tandis qu’Amina entre au service du commissaire de la ville, de sa femme et de sa fille Khadija. Cette dernière a le même âge qu’Amina. Entre les deux jeunes filles, la complicité est totale. Khadija apprend à Amina la lecture et l’ouvre à la culture. Le sort d’Hanadi est moins heureux. Son maître est célibataire et il a profité de son inexpérience pour abuser d’elle. Zarah l’apprend et réagit aussitôt de peur que le déshonneur retombe sur toute la famille. Elle envoie une lettre à son frère pour l’informer qu’elles doivent impérativement revenir au village. En attendant, elles ont trouvé refuge pas très loin de la ville, chez Zanouba. Quelque temps plus tard Khal Jaber vient les chercher. Sur le chemin, il tue Hanadi et l’enterre. On fera croire qu’elle est morte de la peste. Amina est désespérée. De retour à Bani Warkan, la jeune femme ne supporte plus de vivre avec sa mère et son oncle. Elle fuit et retrouve sa place chez le commissaire de la ville. Pendant ce temps-là, Zarah est devenue folle et erre dans le pays à la recherche de ses deux filles. Amina a décidé de venger sa sœur. Les événements à venir vont lui en donner l’occasion. L’ingénieur souhaite épouser la fille du commissaire. Cette demande enchante toute la famille et on parle déjà de fiançailles. Mais Amina informe ses maîtres du comportement passé de leur futur gendre. Le commissaire rompt les fiançailles et demande son transfert dans une autre ville. Une fois la famille partie, Amina demande à Zanouba de la placer chez l’ingénieur. Ce dernier est tout de suite séduit par la beauté de la jeune femme. Il tente de l’agresser plusieurs fois mais il ne parvient jamais à ses fins. Un soir, elle verse du poison dans son vin mais, soudain pris de remords, elle empêche in extremis son maître de le boire. Elle abandonne l’idée de tuer son maître. Elle va voir Zanouba pour qu’elle lui trouve une autre place. Elle prétend ne plus supporter les avances de l’ingénieur. La vieille femme lui fait remarquer que l’attirance qu’éprouve l’ingénieur pour elle lui permettra d’obtenir tout ce qu’elle veut. Amina comprend qu’elle tient sa vengeance et qu’elle pourra le torturer sans commettre un homicide. Elle retourne chez son maître qui se montre de plus en plus gentil à son égard. Et progressivement, elle aussi tombe amoureuse de lui. Mais Hanadi reste une barrière infranchissable entre eux. Le jour où il lui demande de l’épouser, elle lui révèle enfin qu’elle est la sœur d’Hanadi. Jamais elle ne pourra devenir sa femme. Amina décide de quitter définitivement la maison de celui qu’elle aime malgré elle. Le couple a une dernière discussion dans le jardin. Soudain, l’oncle d’Amina surgit. Il est armé et tire sur l’ingénieur qui meurt aussitôt. Sur le dernier plan du film, on entend la voix de l’écrivain Taha Hussein.


Critique

L’Appel du Courlis est un bel exemple de l’injustice dont est victime le cinéma égyptien ignoré ou méprisé par la critique occidentale . Voilà un film qui tourné partout ailleurs dans le monde ferait les beaux jours des ciné-clubs et des cinémathèques. Il serait étudié dans les universités des cinq continents de la planète, on lui consacrerait d’innombrables thèses dans toutes les langues parlées sur cette terre. Mais, c’est un film égyptien, un film arabe. Alors peu importe qu’il ait été réalisé par un très grand cinéaste, Henri Barakat, peu importe qu’il soit l’adaptation d’un classique de la littérature arabe dont l’auteur est Taha Hussein, l’une des figures marquantes de la culture du XXe siècle, peu importe enfin, que le rôle principal soit tenu par l’une des actrices les plus talentueuses de son temps. Le verdict a été rendu sans qu’on ait cru bon de consulter les pièces du dossier : L’Appel du Courlis ne rejoindra jamais la liste des chefs d’œuvre du cinéma mondial en compagnie de Citizen Kane d’Orson Welles ou des Fraises Sauvages d’Ingmar Bergman. Inutile de préciser qu’il n’existe pas non plus de version DVD sous-titrée en français, ce qui, en passant, est bien mal récompenser la francophilie des trois principaux protagonistes de l’œuvre : Taha Hussein a fait une partie de ses études en France et a épousé une Française, Henry Barakat s’est formé à la réalisation dans notre pays et Faten Hamama parlait couramment le français. Navrant.

Dans le style sobre et rigoureux qui sied aux classiques, Henri Barakat nous raconte une tragédie qui se déroule dans l’Egypte de l’intérieur, loin du Caire et de la vie citadine. Cette société aux mœurs archaïques voue les femmes au malheur et ne leur laisse d’autre choix que la soumission. Et malheur à elles si leur père et mari disparaît brutalement ! Qu’elles n’attendent aucune compassion des voisins, des amis ou des parents. Dans l’Appel du Courlis, après le décès du chef de famille, la mère et ses deux filles devront quitter leur village pour tenter de trouver un logement et un emploi dans la ville voisine. Elles pensent ainsi pouvoir commencer une nouvelle vie mais c’est le malheur qui les attend. Henri Barakat restitue scrupuleusement le constat très sévère de Taha Hussein : la campagne égyptienne est un univers faussement paisible, la violence y est omniprésente, notamment celle exercée par les hommes contre les femmes maintenues dans l’asservissement et l’ignorance. Au moindre « écart de conduite », c’est la mort qui attend la fille, la mère ou l’épouse car on ne badine pas avec l’honneur de la famille. Ainsi la sœur aînée sera violée par son maître et assassinée par son oncle pour avoir été violée.

Quand les deux sœurs s’installent dans la petite ville, elles rencontrent des femmes qui s’affranchissent de cette condition misérable : la jeune fille de la famille bourgeoise chez qui travaille Amna prend des cours de français et apprend la musique. Et il y a aussi Zanouba (excellemment jouée par Mimi Chakib), la femme qui dirige le bureau de placement pour les domestiques : elle est la patronne et n’a de comptes à rendre à personne, elle fume, elle danse et s’habille comme elle l’entend. Au début, les deux petites campagnardes illettrées espèrent pouvoir elle aussi gagner enfin leur indépendance mais la tragédie ne tardera pas à les rattraper.

Ce récit est aussi une histoire d’amour et le portrait d’une femme qui s’interroge sur ses propres sentiments. Au début, elle n’est mue que par une seule idée : venger sa sœur mais progressivement, elle comprend qu’elle est tombée amoureuse de celui qui a plongé elle et sa mère dans le malheur. Le talent de Barakat, c’est d’avoir su représenter toute la complexité du personnage tiraillé entre son désir de vengeance et l’amour qui en son cœur croît jour après jour.

Outre le scénario, dans ce film, tout est admirable : la photo, l’interprétation et puis cette inoubliable voix off, celle de Faten Hamama qui tout à la fois nous émeut et nous enchante. Un chef d’œuvre à voir absolument.

Appréciation : 5/5
*****
Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin