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vendredi 28 février 2025

La Femme de mon Mari (Emra'at Zawgy, 1970)

امرأة زوجي
إخراج: محمود ذو الفقار


Mahmoud Zulficar a réalisé La Femme de Mon Mari en 1970.
Distribution : Salah Zulficar (Adel), Nelly (Samia), Naglaa Fathy (Wafaa), Hassan Mostafa (Mamdouh), Mimi Gamal (Nani), Hussein Ismael (le père de Wafaa), Anwar Madkour (le médecin), Mokhtar El Sayed (le serveur), Layla Yousry (la bonne)
Scénario : Abou El Seoud El Ebiary
Musique : Ted Heath (Hot Summer Night), Marty Gold (How High the Moon), Mounir Mourad
Paroles des chansons : Fathy Koura
Production : Naguib Khoury

Nelly et Mimi Gamal



Salah Zulficar et Layla Yousri





Nelly et Salah Yousri





Hassan Mostafa et Salah Zulficar





Nagla Fathy et Salah Zulficar





Résumé

Cela fait trois ans que Samia mène une vie heureuse avec Adel, un pilote de ligne. Un jour, son amie Wafa se présente à son domicile : celle-ci vient de quitter Alexandrie pour des raisons professionnelles et elle est à la recherche d’un logement. En attendant d’en trouver un, Samia lui propose de s’installer chez elle. Peu après, Samia subit un examen médical et apprend que son cœur est très malade. Il ne lui reste que quelques mois à vivre. Elle n’en parle pas à son mari mais elle décide de faire chambre à part. Puis elle entreprend de trouver une remplaçante auprès d’Adel et son choix se porte tout naturellement sur Wafa. Elle va tout faire pour rapprocher son amie d’Adel. Pour cela, elle peut compter sur le soutien de Mamdouh qui est son cousin et le collègue de son mari. Elle prétend que son état la contraint de rester au lit pour laisser Wafa et Adel sortir seuls des journées et des soirées entières. Evidemment, ils finissent par tomber amoureux l’un de l’autre. Wafa ne supporte pas la situation et elle décide de quitter ses amis pour s’installer dans un appartement. Adel ne lui cache pas sa déception de la voir partir. Il l’accompagne dans son nouveau logement et c’est là qu’ils échangent leur premier baiser. Au même moment, Samia apprend qu’elle avait reçu par erreur des résultats d’examen qui concernaient un autre patient. En réalité, elle se porte à merveille. Désormais, Samia n’ a plus qu’une idée en tête : récupérer son mari. Elle met sa robe la plus sexy et au retour d’Adel, elle parvient sans mal à le séduire. Mais son mari lui annonce qu’il doit au plus vite partir car il est attendu à l’aéroport. Pour le garder près d’elle toute la nuit, Samia lui sert un thé dans lequel elle a versé un puissant somnifère. Le lendemain matin, Adel est aux quatre cents coups : son patron est furieux et surtout leur femme de ménage lui apprend que c’est Samia qui est la cause de son endormissement de la veille. Cette fois-ci, la séparation entre les deux époux est consommée. Adel peut désormais publiquement s’afficher avec Wafa tandis que Samia prétend être fiancée avec son cousin Mamdouh. La situation se complique quand Samia informe tout le monde qu’elle est enceinte. Bien qu’amoureux de Wafa, Adel est constamment préoccupé par la venue prochaine de son enfant. A tel point que sa nouvelle compagne finit par s’en inquiéter. Retournement de situation : en fait, Samia n’est pas enceinte. Elle a menti. Elle décide enfin de se confesser devant tout le monde : c’est parce qu’elle croyait que ses jours étaient comptés qu’elle avait poussé Adel et Wafa dans les bras l’un de l’autre. Elle aimait trop son mari pour envisager qu’il soit malheureux après son décès. Cet aveu bouleverse Adel qui décide de retourner auprès de sa femme.


Critique

C’est le dernier film de Mahmoud Zulficar (Il meurt le 22 mai 1970 à l’âge de 58 ans.). Pour cette comédie romantique, il a réuni autour de son frère Salah, deux jeunes actrices à l’aube d’une grande carrière, Naglaa Fathy et Nelly. L’année précédente, il avait déjà fait jouer celles-ci ensemble dans « Les Secrets des Filles » qui était, il faut bien l’avouer, l’un de ses plus mauvais films. « La Femme de mon Mari » est bien plus réussi.

C’est la deuxième fois que Nelly et Salah Zulficar incarne un couple moderne affrontant les vicissitudes de l’existence. La première fois, c’était l’année précédente dans un film d’Abdel Moneim Shoukry, « Bonjour, ma chère épouse ! ». On notera que dans les deux films, le personnage interprété par Nelly porte le même prénom. Malgré leur différence d’âge -la jeune actrice a tout juste vingt et un ans tandis que son partenaire en a quarante-trois- leur duo fonctionne à merveille et ion suit avec plaisir les disputes et les réconciliations de ce couple ordinaire terriblement sympathique.

L’intrigue ne manque pas d’intérêt : une jeune femme se croyant atteinte d’une maladie incurable se refuse à son mari et le jette dans les bras de sa meilleure amie, mais elle ne tardera pas à le regretter amèrement. Ce singulier trio amoureux nous vaut des scènes tantôt comiques tantôt touchantes et parfois très suggestives (nous sommes en 1970, autres temps, autres mœurs !). Evidemment, comme dans toute comédie romantique égyptienne de cette époque, on retrouve des situations convenues et des péripéties prévisibles mais le rythme enlevé du récit et le jeu naturel des acteurs compensent ces petits défauts.

La vedette du film est incontestablement Nelly qui nous enchante par son entrain et sa sensualité (sa danse en costumes constitue l’une des séquences les plus réussis de cette comédie). Malgré son jeune âge, elle fait preuve d’une aisance et d’une maturité tout à fait impressionnantes. Elle laisse peu d’espace à sa consœur Nagla Fathy qui ici semble en retrait (elle se rattrapera bien vite en devenant l’une des plus grandes actrices des années soixante-dix !). Enfin, n’oublions pas Mimi Gamal, irrésistible en bonne copine qui ne rate jamais une occasion pour pourrir la vie de ses amies.

A la sortie du film, certains censeurs se sont émus de son caractère indécent reprochant aux deux héros d’échanger un nombre incalculable de baisers. Sans vouloir froisser ces messieurs, il nous semble que cette indécence n’est guère caractérisée et que tous ces baisers (à pleine bouche, nous en convenons) concourent grandement à l’atmosphère pétulante de cette comédie tendre et alerte.

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

vendredi 31 janvier 2025

Le Jeu de l’Amour et du Mariage ( laabet el hub wa el zawaj, 1964)

لعبة الحب والجواز
إخراج : نيازى مصطفى


Niazi Mostafa a réalisé Le Jeu de l'Amour et du Mariage en 1964.
Distribution : Soad Hosny (Amira), Farid Shawki (Abbas), Mohamed Reda (Hassouna, le père d’Amira), Samir Sabri (Medhat), Soheir El Bably (Kawthar), Layla Fahmy (Fatima, la femme de chambre), Samia Roshdi (la mère d’Abbas), Hassan Mostafa (Mahmoud Abou Al Rous), Mohamed Shawky (le policier), Abdel Hamid Badawy (le père de Mohamed Abou Al Rous) Hussein Ismaïl (le mazoun), Hassan Hamed (un ami d’Amira)
Scénario : Bahgat Amar et Abdel Hay Adib
Production : Mounir Helmy Rafla

Soad Hosny





Samir Sabri




Farid Shawki, Soad Hosny, Soheir El Bably






Mohamed Reda





Soheir El Bably et Soad Hosny





Hassan Mostafa





Soheir El Bably et Farid Shawki

















Résumé

Amira est la fille unique d’Hassouna, un homme fortuné qui peut satisfaire tous ses caprices. Elle a épousé par amour Medhat, un bellâtre superficiel et cupide. Celui-ci n’en voulait qu’à son argent et n’éprouvait aucun sentiment pour elle. Il a rapidement rompu et s’affiche sans vergogne avec sa nouvelle conquête. Amira ne supporte pas cette séparation et elle veut se suicider en se jetant dans le Nil. Mais le chauffeur de taxi qui l’a conduite jusqu’au fleuve l’empêche de réaliser son funeste projet et la ramène chez elle. Le lendemain matin, Abbas, le chauffeur, se présente chez sa cliente désespérée pour lui rendre son portefeuille qu’elle a oublié dans son véhicule. La jeune femme, reprenant une idée que lui a soufflée sa femme de chambre, décide d’embaucher son sauveur comme « homme de compagnie » afin d’éveiller la jalousie de Medhat. Pour que son père ne soit pas un obstacle à son stratagème, Amira présente Abbas comme le mari de sa meilleure amie Kawthar. 

Le soir même, la jeune femme accompagnée de son « employé » se rend dans le restaurant où Medhat a ses habitudes. Evidemment, il est installé à une table avec sa nouvelle amie. Amira et Abbas s’assoient à une table voisine. Pendant tout le repas, Amira surjoue la jeune femme qui a retrouvé le bonheur. Son petit numéro n’impressionne pas beaucoup son ex-mari. En revanche, Abbas est troublé et commence à éprouver de tendres sentiments pour sa patronne. Mais en fait, Medhat souhaiterait renouer avec son ex-femme car il a un besoin pressant d’argent. Lors d’une soirée, il parvient à avoir une conversation en tête à tête avec elle et il comprend qu’il n’aura pas grande difficulté à la reconquérir. 

Entretemps, Hassouna, le père d’Amira, ne reste pas inactif. Il veut que sa fille oublie ce méprisable Medhat et il lui a trouvé un futur mari : un garçon au physique ingrat mais sérieux et de bonne famille. Medhat poursuit son entreprise de reconquête. Lui et Amira doivent se retrouver sur la côte avec tous leurs amis et surtout sans l’encombrant Abbas. Après de multiples péripéties, ce dernier, missionné par Hassouna lui-même, parvient à retrouver sa « protégée ». Il fait fuir toute la bande et, à son grand désespoir, Amira va devoir passer la nuit seule avec Abbas sur la plage déserte. 

A leur retour au Caire, Medhat ne s’avoue pas vaincu : il retrouve sa proie chez elle, dans sa chambre, mais cette fois-ci la jeune femme a compris le manège de son ex. Elle lui demande de quitter la maison quand soudain son père fait irruption dans la pièce. Il est furieux. Il fait fuir le Dom Juan et exige que sa fille épouse le garçon qu’il lui a trouvé. Lors de la signature du contrat, Amira s’enfuit de la maison paternelle pour en finir. Elle appelle un taxi et, miracle, au volant, c’est Abbas. Comme il se doit, tout se termine par un baiser.


Critique

Certains critiques ont signalé la similitude de ce film avec « Embrasse-moi dans le noir » de Mohamed Abdel Gawad qui date de 1959 et aussi avec le drame américain « L’Evadée » réalisé par Arthur Ripley en 1946. Il se peut que les scénaristes du « Jeu de l’Amour et du Mariage » se soient inspirés de ces deux précédents films (même situation de départ) mais le titre choisi nous incite à regarder dans une autre direction, du côté de Marivaux, l’auteur du « Jeu de l’Amour et du Hasard » (1730). Toute l’œuvre de ce dramaturge français tourne autour de l’amour, de ses masques et de ses faux-semblants. Et justement, dans « le Jeu de l’Amour et du Mariage », nous suivons les tribulations d’un couple mal assorti qui joue à être amoureux et qui finit par le devenir réellement. Empressons-nous de préciser tout de même que ce film de Niazi Mustafa n’a rien d’un chef d’œuvre du septième art, c’est juste un bon divertissement sans prétention.

L’intrigue bien que prévisible vaut pour tous les quiproquos qu’elle permet. L’héroïne est dans une situation délicate : elle doit afficher son amour pour son employé afin de provoquer la jalousie de son ex-mari mais elle doit aussi manœuvrer pour que son père ne soit pas informé de son petit jeu. Les péripéties s’enchainent sans temps mort et on a plaisir à suivre l’héroïne qui multiplie les subterfuges pour parvenir à ses fins. On appréciera les excellentes prestations de Soad Hosny et de Soheir El Bably qui forment un duo plein d’entrain et d’espièglerie, sans oublier celles de leurs partenaires masculins, Farid Shawki, Samir Sabri et Hassan Mostafa. Tous les trois sont très drôles, chacun dans son registre, le premier en brute au grand cœur, le deuxième en dom juan sans scrupule et le troisième en prétendant maladroit. Bien sûr tout n’est pas parfait et notamment la séquence dans laquelle l’héroïne passe la nuit sous une tente en compagnie de son chauffeur nous a semblé bien longuette. Néanmoins, cette petite comédie bien sympathique ne mérite pas les critiques très sévères qu’on lit souvent à son sujet.

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

lundi 16 décembre 2024

Le Puits des Privations (Bir Al Hirman, 1969)

بئر الحرمان
إخراج : كمال الشيخ


Kamal El Sheikh a réalisé Le Puits des Privations en 1969. 
Distribution : Soad Hosny (Nahed/Mervat), Nour Al Sherif (Rouf Kamal, le fiancé de Nahed), Salah Nazmi (l’avocat Mohamed Fakhr Eddine, le père de Nahed), Mariam Fakhr Eddine (Mervat, la mère de Nahed), Hamdy Youssef (le docteur Fouad), Mahmoud El Meleigy (le psychiatre Talaat Farid), Mohie Ismail (l’artiste peintre), Hamza El Shimy (Suleiman, le chauffeur), Aqila Rafaat (Nahed enfant), Abdul Rahman Abu Zahra (Taha)
Scénario : Youssef Francis, Naguib Mahfouz
D'après un roman d'Ihsan Abdul Quddus
Production : Ramses Naguib
Ce film sur le dédoublement de la personnalité semble inspiré des Trois Visages d'Ève (The Three Faces of Eve), un film américain réalisé par Nunnally Johnson en 1957.

Soad Hosny et Abdul Rahman Abu Zahra


Hamdy Youssef



Soad Hosny et Mohie Ismaïl



Mahmoud El Meleigy



Nour Al Sherif et Mariam Fakhr Eddine



Nour Al Sherif




Salah Nazmi et Mariam Fakhr Eddine
















Résumé

Quand le film débute, nous sommes dans une boite de nuit. Seule sur la piste, une jeune femme portant une robe provoquante danse de manière frénétique. Les regards de tous les hommes présents sont braqués sur elle. A la fin du morceau, la danseuse s’installe au bar et elle est immédiatement abordée par un client. Elle accepte de l’accompagner chez lui et ils passent la nuit ensemble. Le lendemain, on retrouve la jeune femme chez elle, vêtue de manière beaucoup plus sage. Elle appartient à une famille très aisée, son père est un célèbre avocat. On comprend qu’elle souffre de schizophrénie. Le jour, elle est Nahed, une jeune fille très convenable fiancée à un champion d’escrime. La nuit, elle devient Mervat, une débauchée qui multiplie les aventures sexuelles. Et quand au matin, Nahed se réveille, elle n’a plus aucun souvenir de sa nuit passée. Elle a juste un mal de tête dont elle ne connaît pas la cause et qui l’inquiète. Nahed est aimée de ses deux parents mais elle se désole de leur mésentente. Son père surtout ne cache pas l’hostilité que lui inspire son épouse. Cette dernière, qui s’appelle Mervat comme le double de Nahed, passe ses journées, seule et triste, dans le salon de leur grande maison. Un jour, Nahed décide de consulter à propos de ses maux de tête. Après l’avoir examinée, le médecin de famille, le docteur Fouad, la rassure : il n’y a rien de préoccupant dans son état. La jeune femme passe ensuite la journée avec son fiancé. Mais le soir venu, elle s’enfuit à nouveau de chez elle pour se rendre dans une boîte de nuit. Cette fois-ci, elle fait la connaissance d’un artiste peintre qu’elle suit dans son atelier. Ils font l’amour puis elle rentre chez elle. Le lendemain matin, les maux de tête sont plus vifs qu’à l’ordinaire et elle se sent épuisée. Sa mère lui conseille de consulter à nouveau le docteur Fouad. Celui-ci ne trouve toujours rien d’anormal chez Nahed mais il découvre que son dos est couvert de peinture à l’huile. Le médecin décide de confier sa jeune patiente à un psychiatre, le docteur Talaat Farid. Ce dernier accepte de suivre Nahed mais il la prévient qu’il faudra une longue analyse pour comprendre ce dont elle souffre. En attendant, l’état de la jeune femme ne cesse d’empirer. La nuit venue, elle cherche des hommes pour satisfaire ses désirs : elle renoue avec un ancien amant et elle finit même par séduire le chauffeur de la famille. Celui-ci est persuadé que la jeune femme est amoureuse de lui et, en plein jour, il tente d’avoir une relation sexuelle avec elle. Nahed est indignée par son comportement et s’enfuit, morte de peur. Autre situation embarrassante créée par son dédoublement de personnalité : dans une exposition de peinture qu’elle visite avec son fiancée, elle tombe nez à nez avec son portrait peint par l’artiste peintre qui avait été son amant d’une nuit. Sa mère finit même par la surprendre alors qu’elle est Mervat et qu’elle s’apprête à quitter la maison. Mais avec l’aide du psychiatre, Nahed découvre enfin la raison de son état. C’est à cause d’un traumatisme infantile provoqué par l’infidélité passée de sa mère…


Critique

Ce film illustre l’évolution du cinéma égyptien en cette toute fin des années 60. Il marque aussi une étape importante dans la carrière de son actrice principale, Soad Hosny.

Nous sommes en 1969, deux ans après le traumatisme de la défaite cuisante subie par l’Egypte lors de la guerre des six jours. La société égyptienne est en train de changer sur tous les plans et cela va s’accélérer avec la mort de Nasser en 1970. Le cinéma naturellement accompagne ces bouleversements. Emportés par ce vent de libération qui balaie la planète entière, les cinéastes égyptiens se détournent des divertissements familiaux et osent aborder de nouvelles thématiques destinées à un public adulte. Ils sont de plus en plus nombreux à évoquer ouvertement les problèmes liés à la sexualité et on voit se multiplier les scénarios décrivant les troubles psychologiques provoqués par une morale trop rigide, source de frustration et de névrose. Soyons honnête : l’évocation de ces troubles est souvent le prétexte à montrer des scènes osées au contenu érotique plus ou moins caractérisé. C’est un peu le cas dans ce Puits des Privations. Kamal El Sheikh que l’on considère à juste titre comme l’un des plus grands cinéastes de son temps s’intéresse ici à une jeune femme atteinte d’une forme de schizophrénie : le jour, elle est une jeune bourgeoise menant une existence conventionnelle, la nuit, elle devient une nymphomane qui multiplie les aventures d’un soir. Kamal El Sheikh a toujours été un fervent admirateur d’Alfred Hitchcock et on retrouve dans son film l’atmosphère inquiétante de ceux du maître anglo-saxon. Autre point commun, le film prend la forme d’une enquête menée par le psychiatre pour découvrir le traumatisme subi dans le passé par l’héroïne, ce qui expliquerait son comportement déviant. On pense évidemment à Pas de Printemps pour Marnie qui date de 1964.

Le traumatisme infantile est justement le point faible de l’histoire. A coups de flashbacks dans la petite enfance de l’héroïne, on nous explique que ses troubles sexuels sont dus à l’infidélité de sa mère qui autrefois s’absentait fréquemment pour retrouver son amant. C’est pour cette raison que la nuit Nahed devient Mervat, reproduisant inconsciemment l’inconduite passée de sa mère. Sur le plan psychanalytique, ça ne tient pas la route et sur le plan dramatique, c’est franchement ridicule. (On trouve pourtant au scénario, Naguib Mahfouz !)

Nahed, l’héroïne, est jouée par Soad Hosny. Celle qui fut la Cendrillon du cinéma est à un tournant de sa carrière. Pendant toutes les années soixante, elle a incarné la jeune égyptienne moderne, sympathique et heureuse de vivre. On la retrouve dans les comédies les plus populaires de l’époque, des comédies, il faut bien le dire, souvent un peu superficielles. A la veille d’une nouvelle décennie, la star veut explorer des voies inédites, quitte à décevoir une partie de son public. Et ce Puits des Privations constitue une étape majeure dans sa mue artistique. On sent dans sa manière d’aborder son personnage, une envie de répondre exactement aux désirs de son réalisateur, en affichant une sensualité peu commune dans le cinéma égyptien des années soixante (mais qui deviendra un peu la norme dans les années soixante-dix avec des actrices comme Nahed Sharif ou bien Chams Al Baroudi). Il y a indubitablement une prise de risque de la part de Soad Hosny et on doit lui reconnaître un certain courage artistique. Néanmoins, nous trouvons que son jeu manque ici de naturel. Sa manière de jouer la jeune femme libertine ne nous convainc pas car un peu trop timide, un peu trop puéril. Dans ce domaine, Nadia Lutfy reste inégalée, comme le prouve avec éclat la comédie musicale Mon Père sur l’Arbre d’Hussein Kamal sorti en cette même année 1969.

Il est clair que le cinéaste et son actrice avaient conscience que leur film allait faire scandale. Les scènes les plus attendues et les plus commentées sont celles où la nuit venue, l’héroïne se livre à ses turpitudes avec ses amants. Mais aujourd’hui que reste-t-il de ce scandale ? Peu de chose et le caractère osé des scènes nocturnes s’est considérablement émoussé. Tout compte fait, Ce Puits des Privations n’est certes pas un mauvais film mais il pêche par une certaine maladresse et par une certaine naïveté. Paradoxe de ces œuvres qui à se vouloir « modernes » ont bien mal vieilli !

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

mardi 17 septembre 2024

Rendez-vous d’amour (Mawad gharam, 1956)

موعد غرام
إخراج : هنري بركات



Henry Barakat a réalisé Rendez-Vous d'Amour en 1956.
Distribution : Faten Hamama (Nawal), Abdel Halim Hafez (Samir), Imad Hamdi (Kamal, l’ami de Nawal), Zahrat Al Oula (Zahra), Rushdy Abaza (Mamdouh, le petit ami de Zahra), Adly Kasseb (le médecin)
Scénario : Henry Barakat et Youssef Issa
Musique : Mohamed El Mougy, Mahmoud El Sherif, Kamal Al Tawil, Mamoun Al Shinnawi
Production : Wahid Farid et Ramses Naguib

Rushdy Abaza, Zahrat Al Oula, Faten Hamama


Faten Hamama et Imad Hamdi


Abdel Halim Hafez et Faten Hamama


Faten Hamama et Adly Kasseb


Abdel Halim Hafez et Faten Hamama
















Résumé

Samir est un jeune homme oisif qui passe le plus clair de son temps à jouer aux courses et à courtiser les filles. Un jour alors qu’il retourne au Caire après avoir séjourné à Alexandrie dans l’hôtel de luxe Beau Rivage, il rencontre dans le train une jeune fille qu’il entreprend aussitôt de séduire. Malheureusement pour lui, celle-ci est assez peu sensible à son charme et elle ne cache pas son irritation dès qu’il tente d’amorcer la conversation. La jeune femme s’appelle Nawal et elle travaille pour un journal dont elle dirige le courrier du cœur. A la gare, elle est accueillie par Zahra, son amie fleuriste et elles partent toute les deux en voiture sans que Nawal ait daigné jeter un regard à Samir qui lui dit au revoir d’un signe de la main. Au journal, elle s’aperçoit que la valise qu’elle a avec elle n’est pas la sienne. En l’ouvrant, elle découvre que c’est celle de Samir. Elle contient un grand nombre de photos du garçon en compagnie de différentes jeunes femmes. Nawal comprend à qui elle a affaire et quand Samir se présente au journal pour récupérer son sac, elle ne lui cache pas le peu de sympathie qu’il lui inspire. Loin de se décourager, Samir multiplie les rencontres. Où qu’elle aille, il s’ingénie à la croiser. Nawal est excédée et elle lui demande de disparaître de sa vie. Samir accepte de la laisser tranquille car il croit qu’elle est amoureuse de Kamal, un ami de longue date. Très vite, Nawal ressent un certain malaise : Samir lui manque, elle a compris qu’il était réellement épris et qu’elle ne serait pas une conquête parmi d’autres. Les deux jeunes gens finissent par se retrouver et désormais ils passent de longs moments ensemble. Nawal incite Samir à trouver un travail. Il a une très belle voix et elle l’encourage à embrasser une carrière artistique. C’est à ce moment-là que Nawal apprend qu’elle est gravement malade et qu’elle ne pourra bientôt plus marcher. Elle décide de rompre aussitôt avec Samir et elle charge Zahra de lui faire croire qu’elle s’apprête à épouser Kamal. Samir est parvenu à se faire un nom dans la chanson. Pour oublier Nawal, il part pour une grande tournée au Liban. Quand il s’en retourne au Caire, il rencontre Kamal qui lui révèle la vérité : Nawal n’aime que lui et c’est uniquement la maladie qui l’a conduite à se tenir loin de lui. Elle doit partir en Suisse pour se faire opérer et Kamal conduit Samir à l’aéroport pour que celui-ci retrouve enfin celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer. C’est ensemble qu’ils se rendront en Suisse.


Critique

Un petit film bien oublié aujourd’hui et qui pourtant n’est pas sans charme. Evidemment le titre pourrait effrayer : difficile de faire plus impersonnel et plus convenu. (Un jour, il faudra prendre le temps de compter le nombre de films égyptiens qui comportent dans leur titre soit le terme « rendez-vous », soit le terme « amour » . Le résultat devrait dépasser tous les pronostics.) Ce titre « Rendez-vous d’Amour » annonce un roman-photo tout dégoulinant de sentimentalisme sucré, une romance surannée pour mamies au cœur tendre. Prétendre que le film d’Henry Barakat n’a rien à voir avec cela, ce serait mentir mais on aurait tort de renoncer à le visionner. Malgré son intrigue à l’eau de rose, le cinéaste parvient à échapper à la mièvrerie et au larmoyant. Il nous offre une comédie dramatique pleine de fraicheur et de légèreté. Comme dans d’autres de ses films, Henry Barakat n’a pas son pareil pour évoquer les années cinquante comme une époque heureuse, et il le fait avec toute la poésie et la sensibilité dont il est capable. Nous pensons aux très belles scènes qui se déroulent dans le journal où travaille l’héroïne ou bien à celles qui ont pour cadre la boutique de fleurs tenue par sa meilleure amie (Au milieu des bouquets, l’élégance et la grâce de Faten Hamama et de Zahra Al Oula font merveille et rappellent les couvertures des magazines de mode des années cinquante.) Et nous aimons aussi ces séquences où l’héroïne, l’air déterminé, sillonne les rue du Caire au volant de sa minuscule voiture . Au travers de son héroïne, le cinéaste brosse le portrait d’une jeune femme de son temps, indépendante et sans cesse en mouvement, une jeune femme épanouie et heureuse. S’il a tourné bien des drames, Henry Barakat fut aussi le cinéaste du bonheur de vivre.
Faten Hamama, Abdel Halim Hafez et Zahrat Al Oula forment un joli trio. Ils ont déjà tourné ensemble l’année précédente dans « Nos Plus Beaux Jours » d’Helmy Halim. Si les deux jeunes femmes ont déjà une filmographie impressionnante, le Rossignol Brun est un débutant bien qu’il soit plus âgé que ses deux partenaires. Mais il manifeste ici comme ailleurs ce naturel et cette candeur qui lui donneront pour l’éternité l’image d’un adolescent fragile et lui assureront un succès indéfectible auprès de ses admiratrices. On peut aussi découvrir dans ce film Rushdy Abaza en bon bougre passionné par le basket. Curieux !
Malheureusement, la seconde partie du film n’a pas l’allant de la première. Le ciel s’assombrit, la comédie légère tourne au mélodrame et tout devient plus banal. Dommage !

Appréciation : 3/5


Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

jeudi 16 décembre 2021

Bonjour, ma chère épouse (sabah al khayr ya zawjati aleaziza, 1969)

صباح الخير يا زوجتي العزيزة
ﺇﺧﺮاﺝ : عبدالمنعم شكري


Abdel Moneim Shoukry a réalisé Bonjour, ma chère épouse ! en 1969.
Distribution : Salah Zulficar (Hassan), Nelly (Samia), Taheya Carioca (la mère de Samia), Nabil El Hegrassy (Hanafi), Fathia Shahin (la directrice de l’école), Fahmy Amman (Oncle Rajab), Kawthar El Assal (Karima, une employée de la société), Hussein Ismaïl (le directeur du bureau de placement), Layla Yousry (une baby-sitter), Hassan Hussein (le portier), Wasila Hussein (une collègue de Samia), Seif Allah Mokhtar (le passager dans le bus), Zeinat Olwy (la danseuse)
Scénario : Sami Amin
Musique : Ahmed Abou Zeid
Production : les films Samaha

Salah Zulficar et Nelly






Fathia Shahin



Kawthar El Assal



Nelly et Salah Zulficar



Nabil El Hegrassy



Taheya Carioca



Hussein Ismaïl



Salah Zulficar et Fahmy Ammam

















Résumé

Hassan occupe un poste de direction dans une entreprise. C’est un homme très rigoureux qui ne supporte pas que ses subordonnés arrivent en retard au bureau. Samia, sa femme, est institutrice. Tous les deux forment un couple heureux et ils ont hâte après une longue journée de travail de se retrouver dans leur petit appartement pour une soirée en amoureux. Leur bonheur n’est troublé que par les visites de la mère de Samia. Celle-ci n’a jamais vraiment accepté ce mariage car elle souhaitait que sa fille épouse un cousin. Elle ne rate pas une occasion pour manifester son hostilité à l’égard de son gendre. Tout se complique quand arrive l’enfant. Samia a le plus grand mal à concilier ses impératifs professionnels avec ses devoirs maternels. Dans un premier temps, elle est obligée de faire appel à sa mère qui s’installe chez eux avec son neveu. Le soir, tous les deux jouent au backgammon tandis que Samia et Hassan tentent de dormir. Et ce qui irrite le plus le mari dans cette nouvelle situation, c’est qu’ils ont dû mettre entre parenthèses leur vie de couple. Heureusement, la cohabitation ne dure pas. Après un intermède pendant lequel Hassan prend un congé pour s’occuper de son fils, Samia trouve enfin une baby-sitter mais celle-ci se comporte en véritable souillon et met à sac l’appartement. Les jeunes parents préfèrent s’en débarrasser au plus vite. Une seconde baby-sitter fait son apparition mais elle a un gros défaut aux yeux de Samia : elle est très jolie et elle porte des tenues qui ne cachent rien de ses charmes. Pour l’épouse, c’est insupportable : elle est renvoyée. Hassan pense avoir trouvé la solution. Il embauche un vieux domestique mais celui-ci est si faible et si fatigué qu’il est incapable de faire quoi que ce soit. D’autres servantes vont se succéder mais à chaque fois c’est un même constat d’échec. Hassan et Samia finissent par en convenir tous les deux : pour que leur couple retrouve un équilibre et que leur vie de famille soit enfin heureuse, il faut que Samia cesse de travailler dans son école. Elle démissionne mais ouvre une crèche avec l’aide de sa mère et de son cousin. Elle pourra ainsi concilier travail et vie de famille.


Critique

Dans Bonjour, ma chère épouse, le téléspectateur français retrouvera un peu le ton de la série les Saintes Chéries que diffusa l’O.R.T.F à partir de 1965 et qui évoquait sur le ton de la comédie légère la vie quotidienne d'Ève et Pierre Lagarde, un couple de Français moyens.

Abdel Moneim Shoukry nous offre ici un film divertissant bien mené avec, dans les rôles principaux, Salah Zulficar et Nelly qui jouent avec énergie les jeunes parents débordés. Leur complicité est réelle et le couple qu’ils forment est tout à fait crédible bien que Nelly sorte à peine de l’adolescence, elle a tout juste vingt ans lors du tournage du film et que son partenaire en ait quarante-trois ! 23 ans les séparent mais si cette différence d’âge n’apparaît pas à l’écran, on le doit sans doute à leurs talents respectifs . Il est vrai que malgré son jeune âge, Nelly n’est plus une débutante en 1969 : elle tourne son premier film en 1953, à l’âge de quatre ans ! Dans les seconds rôles, on louera la prestation de Taheya Carioca qui est toujours épatante en belle-mère maussade et cynique.

Bien sûr, il y a des gags convenus notamment dans la séquence où l’on voit le jeune père s’occuper seul de son enfant : une série de maladresses trop prévisibles pour être vraiment drôles. Mais reconnaissons à cette comédie le mérite de poser la question du travail féminin et de la répartition des tâches au sein du couple et sur ce sujet le scénariste fait preuve d’une certaine audace pour l’époque, puisque le héros ne rechigne pas à s’occuper du ménage et du bébé et même consent à s’absenter de son travail pour que son épouse puisse exercer le sien.

Ce n’est pas la première fois que Salah Zulficar incarne le mâle égyptien qui voit ses habitudes bouleversées par la situation professionnelle de son épouse. En 1966, dans Ma Femme, directrice générale de Fateen Abdel Wahab, il joue un cadre qui ne sait comment gérer le fait que sa femme soit devenue la dirigeante de son entreprise.

Alors Bonjour, ma chère épouse, une comédie féministe ? Dans un sens oui, et justement le film vaut surtout pour ses nombreux portraits de femmes, des portraits d’égyptiennes ordinaires (les collègues de Samia, la secrétaire d’Hassan, les employées de maison etc.) mêlant avec une certaine finesse, humour et empathie.

Remarque cinéphilique : au début du film, le héros rentre chez lui après une journée de travail. Il traverse la ville et en chemin il achète une énorme pastèque. Cette situation a semble-t-il inspiré Mohamed Khan puisqu’il la reprend à son compte pour son célèbre court-métrage La Pastèque (1972).

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin


jeudi 30 septembre 2021

Interdit pendant la Nuit de Noces (Mamnou' Fi Layla Al Dokhla, 1975)

ممنوع في ليلة الدخلة
إخراج: حسن الصيفي





















Hassan El Seifi a réalisé Interdit pendant la Nuit de Noces en 1975.
Distribution : Soheir Ramzy (Mona), Adel Imam (Tahsin, le professeur d’arabe), Mohamed Reda (Achour, le père de Mona), Nabila El Sayed (Madame Zarifa, la mère de Mona), Samir Ghanem (Khamis, le professeur d’arabe), Adly Kasseb (le directeur de l’école), Nagwa Fouad (Zuba), Wahid Seif (le psychiatre), Fadia Okasha (la prostituée), George Sedhom (Lola, une prostituée), Tawfik El Deken (le sorcier), Naima Al Saghir (la mère de Tahsin), Nelly (Danseuse), Nagwa Sultan (Danseuse), Fifi Abdo (Danseuse)
Scénario : Farouk Sabry
Musique : Helmi Bakr, Mounir Mourad, Fathy Koura

Mohamed Reda et Nabila El Sayed


Soheir Ramzy et Adel Imam


Samir Ghanem


Soheir Ramzy et Adel Imam


Samir Ghanem et Wahid Seif


Adel Imam et Fadia Okasha


George Sedhom


Soheir Ramzy et Nagwa Fouad














Résumé

Madame Zarifa est une femme autoritaire, au fort caractère. Elle se conduit en véritable tyran domestique à l’égard de son mari Ashour et de sa fille Mona. Cette dernière est tombée amoureuse de leur voisin, Tashin, un jeune professeur d’histoire. Ashour qui voit d’un très bon œil cette union, invite l’enseignant à venir chez lui pour faire sa demande officielle. Malheureusement, Madame Zarifa est catégoriquement opposée à ce mariage. Elle considère que sa fille mérite mieux qu’un petit professeur comme mari. Non seulement, elle met à la porte sans ménagement le prétendant mais elle interdit à sa fille de le revoir. Tashin fait alors appel à son collègue Khamis pour contourner l’interdit maternel. Déguisés en agents des télécommunications, ils vont pénétrer dans l’appartement de Madame Zarifa et Tashin va pouvoir passer quelques instants en compagnie de Mona. Ils vont être très vite démasqués par la maman irascible et celle-ci ne va pas hésiter le lendemain matin à se rendre à leur école pour porter plainte auprès de leur directeur. Ce dernier engage ses deux professeurs à tenter de calmer l’ire de la dame. Alors qu’ils la raccompagnent pour la convaincre de retirer sa plainte, Madame Zarifa disparaît dans une bouche d’égout dont le couvercle avait été retiré. Elle meurt noyée. Cette disparition soudaine fait beaucoup d’heureux. Bien sûr, Tashin et Mona qui vont enfin pouvoir se marier mais aussi Ashour qui désormais est libre de s’unir à Zuba, la femme qu’il a toujours aimé et qui elle aussi est désormais veuve. Il y aura donc deux noces à la suite. Les premiers à convoler sont les plus jeunes. La cérémonie se déroule sans accroc mais la nuit venue, quand les deux époux se retrouvent pour la première fois dans la même chambre, le fantôme de la mère se dresse devant Tashin et lui fait perdre tous ses moyens. L’infortuné mari croit que c’est l’effet du vin mais le lendemain, le phénomène paranormal se reproduit de la même manière. Il en parle à tous ses proches mais personne ne croit à la réalité de ces apparitions surnaturelles. Son ami Khamis le conduit chez un psychiatre. Celui-ci se demande si Tashin ne souffre pas d’impuissance. Pour en avoir le cœur net, il organise une rencontre de son patient avec une prostituée particulièrement affriolante. Pendant la « séance », le médecin s’est installé dans une autre pièce avec Khamis et le beau-père. Les trois compères peuvent suivre les performances de Tashin grâce à un compteur relié à un capteur placé dans le lit. Les résultats balaient toutes leurs inquiétudes : le marié est un homme, un vrai. Le médecin prescrit alors au jeune couple un séjour au calme, loin de la capitale. Mona et Tashin s’installent dans un grand hôtel d’Alexandrie mais cela n’arrange en rien la situation. Au contraire : Madame Zarifa se manifeste aussi auprès de sa fille et elle a bien l’intention de ne pas les quitter d’une semelle. La vie des deux jeunes gens devient un enfer, ils décident de rentrer. Madame Zarifa, aussi retourne au Caire. Entretemps, Ashour et Zuba avaient décidé de se marier sans plus attendre. Le fantôme arrive juste à temps pour gâcher leur nuit de noces. En désespoir de cause, les deux couples décident de s’adresser à un sorcier. Celui-ci explique qu’il faut opposer au fantôme de Zarifa un fantôme au caractère encore plus fort. Ce sera celui de la mère de Tashin. On assiste alors à un combat sans merci entre les deux défuntes. Tout se termine par l’arrivée de la police de l’au-delà qui arrête Madame Zarifa. Les deux couples peuvent enfin s’unir charnellement.



Critique

Interdit pendant la Nuit de Noces est une comédie typique des années 70. Le rôle principal a été confié à Adel Imam qui à trente-cinq ans à peine est devenu le Roi de la Comédie Arabe. Dans tous ses films, cet acteur exceptionnellement doué incarne l’Egyptien moyen, peu courageux mais débrouillard, qui ne peut compter que sur lui-même pour se sortir de toutes les difficultés de l’existence. Dans Interdit pendant la Nuit de Noces, Adel Imam est entouré d’actrices et d’acteurs avec qui il a l’habitude de tourner : Soheir Ramzy, Nagwa Fouad, Samir Ghanem ou encore George Sedhom. Ensemble et avec quelques autres, ils formèrent dans ces années soixante-dix ce qu’on pourrait appeler une « joyeuse bande » que le public avait plaisir à retrouver de film en film.

A cette époque, la mode est à la comédie de mœurs et l’intrigue est à chaque fois à peu près la même : de jeunes citadins, plutôt d’origine modeste, rêvent d’amour et de liberté mais pour accéder au bonheur il leur faudra combattre la morale traditionnelle incarnée par les parents. Ce schéma est bien sûr déjà présent dans le cinéma égyptien des années cinquante et soixante mais la grande différence, c’est que désormais quand on parle d’amour, on pense sexe. Ce que souhaitent obtenir tous ces personnages d’une vingtaine d’années ou plus, les femmes comme les hommes, c’est le droit d’avoir des relations sexuelles avec qui bon leur semble. En effet, le sexe est la grande affaire de la comédie des années soixante-dix et elle l’aborde comme dans ce film de manière explicite. A chaque fois on est étonné par la liberté de ton et par l’audace dans la représentation de certaines situations intimes. L’air de rien, ces productions accompagnent et même promeuvent une véritable révolution dans les mœurs, une révolution portée par le climat politique de l’époque qui est à la libéralisation dans tous les domaines (Cela ne durera pas : les islamistes sont en embuscade et ils remporteront une première victoire avec l’assassinat d’Anouar el Sadate.). Rappelons tout de même que ces auteurs de comédies ne font que poursuivre la tâche accomplie par le grand cinéaste des années cinquante et soixante, Fateen Abdel Wahab qui dans ses films n’hésitait pas à railler les défenseurs de la vertu et de la tradition.

Le réalisateur d’ Interdit pendant la Nuit de Noces est Hassan El Seifi. C’est un cinéaste qui a déjà une longue carrière derrière lui : il débute comme assistant réalisateur en 1947, alors qu’il a à peine vingt ans et à partir des années cinquante, il réalise ses propres films dont un grand nombre sont devenus des classiques du cinéma égyptien. En voyant cette comédie de 1975, on ne peut qu’admirer la capacité d’Hassan El Seifi à s’adapter au changement même si nous y retrouvons des thématiques ou des procédés qui firent le succès des films comiques des années cinquante. Dans Interdit pendant la Nuit de Noces, le cinéaste reprend notamment la caricature de la belle-mère acariâtre et autoritaire qui s’immisce dans la vie du jeune couple pour la rendre insupportable. On pense bien sûr à Ma belle-mère est une bombe atomique (hamati kombola zorria, 1951) et aux Jolies Belles-Mères ( Al Hamawat Al Fatenat, 1953), deux comédies d’Helmy Rafla mais aussi ,dans une version plus dramatique, à La Photo de Mariage de Hassan Amar (Soreat al zefaf, 1952).

Mais ce qui fait la modernité de ce film, c’est la dimension psychanalytique que les auteurs ont tenu à donner à leur histoire. La belle-mère est dépeinte comme une figure castratrice qui réduit à l’impuissance les hommes de son entourage et à la frustration leurs compagnes. Et une fois morte, son fantôme continue à combattre impitoyablement toute manifestation du désir sexuel au sein de sa famille, s’invitant dans les chambres des couples pour interdire tout rapprochement. Cette idée de fantôme tyrannique illustre de manière plaisante comment une instance répressive continue à agir même après la disparition du membre de la famille qui l’incarnait. En l’occurrence la mort physique de la belle-mère n’apporte pas la libération escomptée car il faut aussi la tuer dans les têtes et là c’est plus difficile.

Interdit pendant la Nuit de Noces est un très bon divertissement pour adultes (avertis ?), bien dans l’esprit des productions de Mohamed Abdel Aziz, le cinéaste qu’on présentait comme le Fateen Abdel Wahab des années soixante-dix. On pourra néanmoins regretter quelques scènes d’un goût douteux. Celle dans laquelle apparaît George Sedhom travesti en fille de joie et accumulant les chutes grotesques ne restera pas dans les annales de la comédie égyptienne.


Appréciation : 3/5
***


Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin