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mardi 1 février 2022

Victoire de la jeunesse (intisar al-shabab, 1941)

انتصار الشباب
إخراج : أحمد بدرخان


Ahmed Badrakhan a réalisé Victoire de la Jeunesse en 1941.
Distribution : Asmahan (Nadia), Farid al-Atrache (Wahid), Abdel Fattah El Kosary (Maïtre Al Attar), Fouad Shafik (Gouz, l’un des membres du trio), Hassan Fayek (Louz, l’un des membres du trio), Hassan Kamel (Boundouk, l’un des membres du trio), Mary Mouneib (Oum Ismaïl), Bishara Wakim (le directeur du cabaret, Les Etoiles de la Nuit), Anwar Wagdi (Mahi, le fils du Pacha), Stephan Rosti (Taha Taha, le professeur de musique), Abdel Salam Al Nabulsi (Fawzy, l’ami de Mahi), Rawheya Khaled (Ehsan, la sœur de Taha), Olwya Gamil (la mère de Mahi), Aziz Sadek (le chef d’orchestre), Lotfi El Hakim (le régisseur du théâtre), Mahmoud Ismaïl (Mahmoud, l’employé du cabaret), Samia Gamal (une danseuse)
Scénario : Ahmed Badrakhan, à partir d’une histoire d’Omar Gamae
Dialogues : Badie’ Khairy
Musique : Farid Al Atrache
Production : Les Films du Nil

Abdel Fatah El Kosary

















Hassan Fayek


















Hassan Kamel

















Asmahan

















Bishara Wakim

















Anwar Wagdi

















Anwar Wagdi et Abdel Salam Al Nabulsi

















Farid Al Atrache
















Asmahan

















Stephan Rosti

















Mary Moneib

















Fouad Shafik
















Olwya Gamil

















Asmahan et Anwar Wagdi

















Farid Al Atrache

















Asmahan

















Rawheya Khaled

















Résumé

Wahid et sa sœur Nadia ont quitté la Syrie pour se rendre en Egypte. Ils sont tous les deux chanteurs et ils n’ont pas réussi à percer dans leur pays. Ils espèrent qu’en résidant au Caire, ils auront plus de d’opportunités pour faire reconnaître leur talent. Dans le train, ils font la connaissance de Maître Al Attar qui, une fois arrivés au Caire, les conduit à la pension tenue par Oum Ismaïl. Wahid et Nadia s’y installent. Ils ont pour voisins de chambre, un trio d’artistes sans le sou, Gouz, Louz et Boundouk. Les trois hommes ont entendu chanter Wahid et Nadia et ils incitent ceux-ci à présenter leur candidature avec eux au cabaret Les Etoiles de la Nuit. Bachar, le directeur, hésite puis engage les cinq artistes. Nadia sur scène fait sensation. Dans la salle, se trouve Mahi, un fils de Pacha avec Fawzi, son meilleur ami et quelques connaissances. La beauté de la chanteuse bouleverse le riche héritier et il transmet à la jeune femme une invitation à venir à sa table prendre un verre. Nadia refuse. Mahi se plaint aussitôt au directeur. Ce dernier tente de fléchir Nadia mais elle reste intraitable. Bachar décide de renvoyer le frère et la sœur. Quand Mahi l’apprend, il supplie le directeur de reprendre dans son établissement les deux chanteurs. C’est ainsi que Nadia peut à nouveau chanter sur scène sans avoir à rejoindre dans la salle les clients du cabaret après sa prestation. Un peu plus tard, Mahi invite Nadia à se produire dans son hôtel particulier lors d’une soirée entre amis. Il en profite pour lui exprimer son amour et la demander en mariage. Devenue l’épouse d’un fils de grande famille, Nadia renonce à sa carrière artistique. Bachar n’apprécie guère ce retrait et en représailles, il met à la porte Wahid et le trio comique. Pour eux, la situation devient difficile : ils ne peuvent plus payer leur loyer. Heureusement, Wahid découvre dans le journal une petite annonce informant qu’on recherche des chanteurs pour le cinéma et que des auditions ont lieu chez le professeur de musique Taha Taha. Wahid se rend aussitôt à l’adresse indiquée. Il chante devant le professeur et plusieurs personnalités du monde de la musique. Taha Taha est impressionné par le talent du jeune chanteur mais il se garde bien de lui en faire part. Au contraire, mu par la jalousie, il donne un avis très sévère sur ce qu’il vient d’entendre. Pour autant, Wahid est satisfait de son audition. Il a fait la connaissance d’Ehsan, la jeune sœur du professeur de musique et il en est instantanément tombé amoureux. Mais ce n’est pas tout : l’un de ses auditeurs, le directeur d’une maison de disques a tenu à lui exprimer toute son admiration et veut l’aider à se lancer dans le monde de la musique. C’est ainsi que Wahid se produit à la radio et devient célèbre. Il a pu louer un grand appartement pour lui tout seul mais il n’a pas rompu avec les trois artistes qui sont devenus de véritables amis. De leur côté, la situation s’est aussi améliorée : l’un d’entre eux a épousé Oum Ismaïl et à la pension ils sont désormais chez eux. En revanche, pour Nadia, son bonheur aura été de courte durée : sa belle-mère a appris que son frère était chanteur et qu’elle-même s’était produite sur des scènes de cabarets. La vieille femme ne peut accepter que des saltimbanques fasse partie de sa famille et elle ne cache pas son indignation à sa belle-fille. Elle exige que son fils divorce sur le champ. Malgré l’amour que lui porte son mari, Nadia décide de le quitter et de retourner au Caire. Découvrant la fuite de sa femme, Mahi prend sa voiture et se lance à sa poursuite. Malheureusement, arrivant en trombe sur un passage à niveau, il heurte un train et se retrouve à l’hôpital. Nadia lui rend visite et lui demande de retourner auprès de sa mère. La jeune femme s’installe dans l’appartement de son frère et peu après elle se retrouve nez à nez avec Ehsan, la sœur du professeur de musique. Elle lui fait croire qu’elle est l’épouse de Wahid. Bouleversée par cette nouvelle, Ehsan accepte d’accompagner son frère pour un grand voyage hors d’Egypte. Dans le même temps, Wahid a terminé la composition de son opérette mais il désespère de pouvoir la monter. Pour l’aider, les trois artistes comiques font croire à Bachar, le directeur des Etoiles de la Nuit, que Nadia va divorcer et qu’elle accepterait de l’épouser. Les trois compères conseillent à Bachar de produire le spectacle de Wahid s’il souhaite obtenir au plus vite la main de Nadia. Le directeur de cabaret accepte. La dernière partie du film est entièrement consacrée à la représentation de l’opérette de Wahid. Dans le public se trouvent Ehsan ainsi que Mahi et sa mère. Happy end : Taha Taha accepte que Wahid épouse sa sœur et la mère de Mahi ne s’oppose plus au bonheur de son fils et de Nadia.


Critique

Victoire de la Jeunesse constitue la première apparition d’Asmahan au cinéma. Elle joue avec son frère, Farid Al Atrache qui a aussi composé la musique du film. En 1941, cela fait à peine deux ans que la jeune chanteuse est de retour en Egypte. En 1939, elle a quitté mari et enfant restés en Syrie pour reprendre ses activités artistiques au Caire.

Victoire de la Jeunesse a été réalisée par Ahmed Badrakhan, un pionnier du cinéma égyptien qui a une expérience solide en matière de comédie musicale. Il avait déjà réalisé deux films avec Oum Kalthoum. On raconte d’ailleurs que la diva est entrée dans une colère noire en apprenant que son réalisateur allait tourner avec cette rivale, jeune, belle et terriblement talentueuse.

Dans les années quarante, la comédie musicale est le genre roi en Egypte. Le public populaire va au cinéma pour admirer les danseuses, les chanteuses et les chanteurs qui ont commencé à se faire un nom dans les cabarets de la capitale. La plupart du temps, l’intrigue est secondaire, ce qui importe ce sont les séquences chantées et dansées. Ainsi, dans Victoire de la Jeunesse, l’histoire n'est pas d'une folle originalité. : un frère et une soeur, tous les deux chanteurs, ont quitté leur pays pour s'installer au Caire en espérant y connaître le succès et la gloire. L’intrigue repose sur un cliché que le cinéma usera jusqu’à la corde : les parents fortunés qui s’opposent à ce que leur enfant se marie à un ou une «saltimbanque». Dans Victoire de la Jeunesse, le thème est doublement exploité, le frère et la sœur étant tous deux confrontés à l’hostilité de la famille de leurs bien aimés. Une hostilité qui finira par se dissiper devant le talent éclatant des deux jeunes chanteurs.

Il y a une dimension clairement autobiographique dans ce film, notamment concernant Asmahan. Nadia, le personnage qu’elle joue, a dû abandonner la chanson pour épouser l’homme qu’elle aime. Il lui a fallu aussi quitter son frère, les amis et la vie trépidante du Caire pour se cloîtrer dans la maison de la famille du mari, maison dirigée d’une main de fer par une belle-mère acariâtre. Cela fait écho au mariage d’Asmahan avec son cousin Hassan Al Atrache en 1932. Elle aussi a dû quitter Le Caire et renoncer à ses activités artistiques pour s’enfermer dans le palais de son mari, loin de tout.
A noter que l’art et la réalité continueront à s’ « alimenter » l’un l’autre puisque à l’issu de ce tournage Asmahan épousera le réalisateur Ahmed Badrakhan et que leur brève union (à peine deux mois !) déplaira à leurs familles respectives.

Le film comporte huit chansons, toutes composées par Rachid Al Atrache et les paroles de six d’entre elles ont été écrites par le poète Ahmed Rami. On retiendra surtout la grande réussite sur le plan musical de la dernière partie du film, celle consacrée à l’opérette. Solos, duos, chœurs se succèdent dans un équilibre parfait. Les mélodies mêlant les styles occidental et oriental permettent aux deux chanteurs de donner la pleine mesure de leur talent et la virtuosité vocale d’Asmahan laisse pantois.

Si le frère et la sœur sont des chanteurs exceptionnels, en revanche comme acteurs, ils se révèlent plus limités. L’un comme l’autre semble peu à l’aise et leur jeu manque de naturel. Le visage d’Asmahan est certes d’une grande beauté mais il n’est guère expressif. Pour signifier qu’elle est triste , elle tamponne sans conviction ses yeux avec un mouchoir : service minimum ! Heureusement, ils sont entourés d’acteurs plus aguerris et Beshara Wakim, le Saturnin Fabre égyptien, est incroyable en directeur de théâtre fantasque.
Mais le caractère hiératique du jeu de Farid et d’Asmahan est sans doute dû aussi à la mise en scène. Au début des années quarante, en Egypte, le modèle n’est pas encore la comédie musicale américaine mais l’opérette , d’où le style très théâtral de l’interprétation. Après la guerre, les choses changeront rapidement et l’emblème de ce changement c’est le couple artistique que Farid Al Atrache formera avec la danseuse Samia Gamal : désormais le mouvement doit primer et le drame laisse la place à la comédie. A l’aube des années cinquante, l’Egypte se convertit à l’Entertainment hollywoodien, grâce notamment au réalisateur Henry Barakat.

Victoire de la Jeunesse connut un succès considérable pendant des mois et propulsa Asmahan et Farid au rang de stars. En revanche l’accueil fut plus tiède en Syrie, notamment auprès du peuple druze (Asmahan et Farid Al Atrache appartiennent à l’une des familles les plus puissantes de la communauté druze). Le comportement d'Asmahan était unanimement condamné. Elle avait divorcé et s’était remariée à un non-druze (ce qui est formellement interdit par la tradition) et maintenant, il y avait un deuxième divorce. La coupe était pleine ! Quand Victoire de la Jeunesse fut projetée à Damas et qu'Asmahan fit son apparition sur l'écran, un spectateur dit-on se leva et tira à plusieurs reprises des coups de pistolet dans sa direction, ou du moins en direction de son image. Ambiance !

Appréciation : 4/5
****

 Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin


vendredi 30 avril 2021

Un Jour de Ma Vie (yom men omri, 1961)

يوم من عمري
إخراج : عاطف سالم


Atef Salem a réalisé Un Jour de ma Vie en 1961.
Distribution : Abdel Halim Hafez (Salah), Zubaida Tharwat (Nadia), Abdel Salam Al Nabulsi (Younes), Mahmoud El Meleigy (le rédacteur en chef du journal), Zouzou Madi (Zouzou, la belle-mère de Nadia), Zaki Tolimat (Hanafi Abu Ajila, le père de Nadia), Abdel Aziz Ahmed (Abbas l’épicier), Soheir El Babli (Aïcha, la fille d’Abbas), Salah Nazmi (Shafiq, le frère de Zouzou), Thuraya Fakhry (la nourrice), Ahmed Loxer (rédacteur du journal), Sohair El Barooni, Amal Zayed (la femme d’Abbas), Rashwan Mustafa (l’inspecteur), Monir El Fangary (marchand de journaux), Mokhtar El Sayed (un journaliste), Abdel Moneim Basioni (un journaliste)

Scénario : Seif El Din Shawkat et Youssef Gohar
d'après Vacances Romaines (1953) de William Wyler avec Gregory Peck et Audrey Hepburn. Ce film est lui-même inspiré de New-York-Miami (1934) de Frank Capra. Ce dernier avait été sollicité pour réaliser Vacances Romaines mais il avait décliné la proposition.

Musique : Ali Ismaïl, Morsi Gamil Aziz, Kamal Al Tawil, Mounir Mourad, Baligh Hamdy, Mamoun Al Shinnawi

Abdel Halim Hafez chante quatre chansons parmi les plus célèbres de son répertoire :
Khayef Marra Aheb (paroles : Mamoun Al Shinnawi ; musique : Baligh Hamdy)
Dehk We Lea'b (paroles : Morsi Gamil Aziz ; musique : Kamal El Tawil)
Be Amr El Hob (paroles : Morsi Gamil Aziz ; musique : Mounir Mourad)
Baad Eh (paroles : Mamoun Al Shinnawi ; musique : Kamal El Tawil)

Production : Subhi Fahrat

Abdel Halim Hafez et Abdel Salam Al Nabulsi


Salah Nazmi


Abdel Aziz Ahmed


Zubaïda Tharwat et Abdel Halim Hafiz



Amal Zayed



Mahmoud El Meleigy


Zubaïda Tharwat et Abdel Halim Hafez


Thuraya Fakhry

 
Soheir El Babli


















Résumé

Salah et Younes partagent le même appartement et travaillent dans le même journal, le premier comme reporter, le second comme photographe. Ils ont bien du mal à payer leur loyer et doivent inventer mille stratagèmes pour ne pas rencontrer leur propriétaire. Heureusement, Aïcha, la fille de ce dernier est amoureuse de Younès et elle fait tout son possible pour les aider. Le rédacteur en chef du journal confie une mission à Salah et Younès : ils doivent couvrir l’arrivée à l’aéroport de Nadia, la fille du célèbre millionnaire Hanafi Abu Ajila. Elle revient pour la première fois en Egypte après avoir résidé plusieurs années en Suisse. Malheureusement, sur la route, la vieille voiture des deux amis tombe en panne alors que la jeune héritière fait son apparition dans le hall de l’aéroport. Pour ,l’accueillir, il y a son père, sa belle-mère, Shafiq, le jeune frère de celle-ci, et sa vieille nourrice. Toute à la joie des retrouvailles, Nadia apprend que son père et sa belle-mère ont décidé de la marier à Shafiq. Pour Nadia, il est hors de question d’épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas. Elle décide de s’enfuir. Elle se précipite aux toilettes et en ressort par la porte de derrière. Elle quitte l’aéroport en bus. Mais peu après, celui-ci est arrêté par une voiture qui lui barre le passage. C’est le véhicule de nos deux journalistes. Avec l’aide du chauffeur du bus, ils poussent la voiture sur le bas-côté puis Salah monte dans le car pour retourner au Caire et chercher un dépanneur. Il s’assoit auprès de Nadia. Le jeune homme est ébloui par la beauté de sa voisine mais il perçoit tout de suite sa grande anxiété. Sans révéler son identité, la jeune fille explique à Salah qu’elle a fui de chez elle car son père veut la marier à un homme contre son gré. Elle prétend résider à Alexandrie. Salah lui conseille de rentrer chez elle et de se battre afin que son père renonce à son projet. En attendant de reprendre le train, Nadia passera la soirée au Caire avec son nouvel ami. Younès et Aïcha les ont rejoints et la petite bande se rend à la fête foraine. Entre Salah et la jeune inconnue, l’entente est parfaite et ils ne peuvent cacher les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Les heures filent et il est temps de raccompagner Nadia à la gare. Les deux amoureux ont bien du mal à se quitter. Le train part enfin mais, à sa grande stupéfaction, Salah s’aperçoit que Nadia est sur l’autre quai, affalée sur un banc et profondément endormie. Elle devra donc passer la nuit dans leur appartement. Le lendemain matin, Salah et Younès laissent leur protégée seule, toujours endormie, pour se rendre au journal. Leur rédacteur en chef est furieux : ils sont revenus sans article et sans photos alors que la disparition de la fille du millionnaire fait la une de tous les autres quotidiens. C’est ainsi que les deux journalistes découvrent la véritable identité de leur nouvelle amie. Ils retournent aussitôt à leur appartement mais Nadia n’y est plus. Elle a été chassée par les propriétaires. Heureusement, elle n’est pas bien loin : elle s’est cachée dans le poulailler de l’immeuble. Les trois jeunes gens passent la journée ensemble. Younès prend des centaines de photos. Leur rédacteur en chef sait maintenant que la jeune fugitive a trouvé refuge chez ses deux reporters. Il a prévu de sortir une édition spéciale avec des photos exclusives qui révéleront au monde entier l’idylle entre la jeune héritière et l’un de ses journalistes. Pour Salah, la situation devient intenable et, la mort dans l’âme, il conseille à Nadia de retourner auprès de son père. Ce dernier, quand il apprend toute l’histoire, tente d’intervenir auprès du rédacteur en chef pour qu’il renonce à publier ces photos scandaleuses. L’homme de presse refuse. Salah et Younès décident de sauver l’honneur du millionnaire et de sa fille. Ils volent à l’imprimerie tous les clichés qui devaient paraître le lendemain et pour preuve de leur loyauté les transmettent à Nadia et à son père. Touché par ce geste, le millionnaire décide de faire le bonheur de sa fille : Salah sera son gendre.


Critique

Un Jour de Ma Vie est un remake de Vacances Romaines de William Wyler avec Audrey Hepburn et Gregory Peck. Le scénariste égyptien suit assez fidèlement la trame du film original, il en reprend les principales péripéties tout en opérant certaines modifications afin de séduire le public arabe. On pourrait presque parler d'un travail d' « acclimatation » visant à faire passer le récit d'une culture à une autre. Malgré cela (ou à cause de cela), on peine à retrouver dans le film d'Atef Salem le charme de la comédie américaine. Envolées, la grâce et la légèreté ! Disons-le d'emblée, Un Jour de Ma Vie est un film honnête, pas un grand film.
Le spectateur qui a déjà vu Vacances Romaines sera tout d'abord frappé par une absence : la ville. Dans le film de William Wyler, Rome est le troisième personnage. Avec Ann et Bradley, juchés sur leur vespa, on découvre la plus belle ville du monde (au moins pour Ann puisqu'elle y fait l'expérience de la liberté et de l'amour) avec ses rues, ses places, ses bâtiments et ses monuments. Dans le remake égyptien, Le Caire est à peine évoqué, un fantôme aux contours indistincts. Il faut se contenter d'une scène nocturne se déroulant dans une fête foraine et de la vue panoramique d'une place du Caire projetée derrière les héros qui sont assis dans un café reconstitué en studio (l'image est d'une qualité si médiocre qu'on se demande bien qui cela peut tromper!). Il est vrai que pour les producteurs du film, l'essentiel est ailleurs. En fait, Un Jour de Ma Vie a été conçu pour servir d'écrin aux chansons de la star de l'époque, Abdel Halim Hafez. Dans ce film, il ne chante pas moins de trente minutes, c'est donc bien un récital auquel on assiste, un récital enrobé dans une jolie petite histoire sentimentale. Tout doit tourner autour de l'idole et on demande à Zubaïda Tharwat d'incarner la jeune fille qui se pâme d'amour et d'admiration pour son partenaire. On se doute qu'elle ne joue pas ici l'un de ses rôles les plus mémorables.
Le ton et l'histoire du film font irrésistiblement penser à ceux tournés à la même époque en France avec les vedettes de la chanson yéyé. Abdel Hamid Hafez et Zubaïda Tharwat sont les petits cousins des Sylvie Vartan, Johnny Hallyday et consorts. Même si Abdel Hamid Hafez au moment du tournage a dépassé la trentaine (alors que Zubaïda a juste vingt ans), son visage et sa silhouette juvéniles donnent l'illusion qu'il est à peine plus âgé que sa partenaire. Ensemble, ils forment un couple de très jeunes gens dont l'amour devra affronter la méchanceté des parents et des adultes. Comme dans les chansons et les films des yéyés français, Un Jour de Ma Vie fait la part belle au sentimentalisme et à la puérilité : dans la scène de la fête foraine, les personnages gagnent une petit ours en peluche qui deviendra le symbole de leur amour naissant.
Dans ce bain de sirop, la fonction d’Abdel Salam El Nabolsi est d'apporter un peu de drôlerie et de frénésie mais l'énergie éruptive de l'acteur ne parvient pas à secouer la léthargie ambiante et le cours des choses se dirige avec mollesse vers le happy end obligé. Ce qui là encore est une différence de taille avec le modèle puisque dans Vacances Romaines, les deux héros finissent par convenir qu'ils appartiennent à deux mondes radicalement différents et que leur amour n'a pas d'avenir. Un dénouement désenchanté inconcevable dans la comédie égyptienne de l'époque.
A la cérémonie des Oscars de 1954, Vacances Romaines avaient obtenu pas moins de sept récompenses. Il est clair qu'Un Jour de Ma Vie ne peut sur aucun point rivaliser avec son modèle. Restent la voix unique d'Abdel Halim Hafez et les yeux magnifiques de Zubaïda Tharwat.

Appréciation : 2/5
**

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

vendredi 24 avril 2020

La Veuve Joyeuse (El armala el tarub, 1956)

الأرملة الطروب
إخراج : حلمى رفلة



Helmy Rafla a réalisé La Veuve Joyeuse en 1956.
Distribution : Leila Fawzi (Samira, la fille d’Abdel Aal), Kamal Al Shennawi (Magdy), Abdel Salam Al Nabulsi (Asim Bey Kayamakli), Zinat Sedki (la femme de chambre de Samira), Hassan Fayek (Abdel Aal, le père de Samira), Adly Kasseb (Mahdi Effendi), Mohamed Gamal (Hechmat), Zeinat Olwi (danseuse), Kitty (danseuse), Victoria Hobeika (la mère d’Hechmat)
Scénario : Aboul Seoud Al Ibiary, Helmy Rafla, Mustafa El Sayed, Fathy Qoura
Musique : Mohamed Gamal et Mahmoud El Sherif

Hassan Fayek et Kamal Al Shennawi

Leila Fawzi

Mohamed Gamal

Leila Fawzi et Kamal Al Shennawi

Hassan Fayek

Kamal Al Shennawi et Mohamed Gamal

Abdel Salam Al Nabulsi et Leila Fawzi

Zinat Sedki et Leila Fawzi

Kitty




Résumé

Abdel Aal aime l’argent et la bonne chère. Il a forcé sa fille Samira à épouser Rostom Bey Kayamakli, un riche turc de quarante ans son aîné. Samira s’est installée dans le pays de son mari et a mené une vie luxueuse mais sans amour. 
Au bout de cinq ans de vie commune, son mari meurt. Toute la famille est réunie pour entendre les dernières volonté du défunt : sa veuve jouira de sa fortune tant qu’elle restera seule. Si elle se remariait, l’héritage reviendrait à sa famille. Au cas où elle mourrait, en étant restée célibataire, c’est son père qui récupérerait l’argent de Rostom. Asim Bey Kayamakli, le frère du défunt, est prêt à tout pour que cette fortune reste dans leur famille. Il a trouvé la solution : il va épouser Samira. Quand cette dernière lui signifie son refus d’un tel « arrangement », il menace de la tuer. Elle est obligée d’accepter. Mais profitant de l’absence de son beau-frère, elle fuit en compagnie de Lawahiz, sa servante et rentre en Egypte. 
 Asim Bey constatant le départ de sa « future femme », contacte un parent résidant en Egypte, Mahdi Effendi, un haut fonctionnaire, sous-secrétaire d’état. Celui-ci a une idée : il convoque Magdy, un parent lui aussi, qui travaille dans l’administration et qui est célèbre pour ses conquêtes féminines. Il lui donne une mission : il sera généreusement récompensé s’il parvient à séduire Samira et à l’épouser. Magdy se présente au domicile de l’héritière tant convoitée. Dans le jardin, il voit une femme courir après une poule : c’est Samira. Il est frappé par sa beauté et il est très étonné d’apprendre pas la bouche de celle-ci qu’elle n’est qu’une simple servante. Elle le devance dans la maison pour prévenir sa maîtresse, dit-elle. Samira demande à sa femme de chambre de se faire passer pour elle. Lawahiz reçoit avec rudesse le visiteur qui est interloqué par cet accueil. Ils sont rejoints peu après par le père de Samira qui lui aussi est mis dans la confidence. Il est enchanté de ce tour, ne souhaitant évidemment pas que sa fille se marie et que son héritage tombe dans l’escarcelle d’Asim Bey Kayamakli. 
La difficulté, c’est que Magdy est tombé amoureux de Samira, toute servante qu’elle prétend être et Samira, elle aussi finit par succomber au charme du nouveau venu. Naturellement, Magdy refuse de rester le complice d’Asim er de Mahdy et quand le frère du défunt arrive en Egypte pour vérifier le bon déroulement des opérations, le jeune homme lui annonce qu’il est désormais impossible pour lui d’épouser Samira. Heureusement, le remplaçant est tout trouvé : c’est Hechmat, un jeune collègue de Magdy qui accepte la mission. Le lendemain, Asim, déguisé en vieille femme et accompagné d’Hechmat, rencontre le père de Samira. Il prétend être la mère du garçon et il vient demander en son nom la main de la jeune fille. Il précise que la dot sera importante. Abdel Aal, sachant qu’il n’est pas question de sa fille mais de Lawahiz, accepte volontiers ce projet d’union. 
Une réception est organisée pour officialiser les fiançailles. Asim Bey Kayamakli y paraît, toujours déguisée en vieille femme. Malheureusement pour lui, la véritable mère d’Hechmat fait son apparition et le démasque. C’est alors que tous les masques tombent. Magdy comprend que la femme qu’il aime est bien Samira, l’héritière de Rostom, Abdel Aal découvre que sa fille est amoureuse de Magdy, ce qui compromet leur chance de conserver l’héritage. Abdel Aal chasse Magdy de chez lui et enferme sa fille dans sa chambre. Pendant ce temps-là, Asim Bey Kayamakli ne s’avoue pas vaincu. Il enlève Samira mais celle-ci parvient à s’échapper. Elle se rend aussitôt chez Magdy pour tenter de s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé à lui cacher son identité. Son bien-aimé n’ a guère apprécié d’avoir été ainsi trompé et il lui marque une très grande froideur. Tous les autres protagonistes de l’histoire font leur apparition et chacun veut faire valoir ses revendications à l’imam qui les a accompagnés. Il faut que Samira menace de se jeter dans le vide pour qu’enfin on accepte de prendre en compte ses propres désirs et volontés.


Critique

Cette Veuve Joyeuse est un petit chef d’œuvre, une comédie brillante qui illustre admirablement ce que l’âge d’or du cinéma égyptien fut capable de produire grâce aux talents conjoints de ses acteurs, de ses réalisateurs et de ses scénaristes. Pendant une vingtaine d’années, ces artistes offrirent au public d’innombrables films qui sont aujourd’hui devenus des classiques, aussi bien dans le drame que dans la comédie. La formule « Hollywood sur le Nil »n’ était alors nullement galvaudée. A partir des années soixante-dix, le secret de ce savoir-faire semble progressivement se perdre et dans les années quatre-vingt, le cinéma égyptien n’est plus que l’ombre de lui-même, tentant de survivre en proposant des films dont on dissimulait la médiocrité par un discours prétendument « engagé ». Evidemment, il y eut des exceptions mais trop peu nombreuses pour influer en quoi que ce soit sur une tendance bien regrettable. 
Revenons donc à notre Veuve Joyeuse, paradigme de la comédie pétillante de ces années cinquante. C’est un divertissement, certes mais un divertissement haut de gamme. Nous avons d’abord une intrigue à la Marivaux : la servante et la maîtresse qui échangent leur rôle, un séducteur cynique qui découvre soudain l’amour véritable. Le scénariste, Aboul Seoud Al Ibiary (ici, au zénith de son talent) multiplie les rebondissements, sans tordre le cou à la vraisemblance mais sans rien s’interdire : les deux héros font connaissance en poursuivant une poule ! Nous avons aussi un réalisateur, Helmy Rafla, qui filme cette histoire, avec une légèreté, une élégance hors pair, ce qui permet à cette Veuve Joyeuse de rivaliser avec les meilleures comédies d’Hollywood. On pense plus d’une fois à Howard Hawks, le réalisateur de Chéri, je me sens rajeunir ou des Hommes préfèrent les Blondes. Autre qualité du film : Helmy Rafla parvient à faire rire son public tout en veillant à garder une touche romantique à son histoire et certaines scènes sont d’une grande beauté comme celle du baiser dans l’arbre ou bien celle de l’héroïne au bain entourée de ses servantes. 
Si l’intention première des auteurs de ce film est d’amuser le public, ils ne s’interdisent pas d’évoquer des sujets graves, comme celui de la condition féminine dans la société musulmane. En effet, cette Veuve joyeuse est tout sauf joyeuse. Non seulement, elle a été « vendue » par son père à un homme qui a quarante ans de plus qu’elle, mais celui-ci mort, il lui est interdit de refaire sa vie comme elle l’entend et elle retombe sous l’autorité d’un beau-frère et d’un père qui ont pour seul souci, non son bonheur mais leur intérêt personnel. Et l’un comme l’autre n’hésite pas à la menacer d’une arme pour obtenir de sa part soumission et obéissance. Pour l’héroïne, la situation devient insupportable et elle devra menacer à son tour de se suicider pour qu’on daigne enfin l’entendre. 
Enfin, la grande réussite de ce film tient aussi à la qualité de l’interprétation et notamment à la prestation époustouflante de Leila Fawzi dont le naturel, la sensibilité et bien sûr la beauté en font l’égale de Katharine Hepburn. 
A propos d’interprétation, on notera l'absence d’Ismaïl Yassin au générique. A l’époque, c'est tout à fait exceptionnel car cet acteur règne sans partage sur la comédie populaire. Helmy Rafla tournera avec lui 22 films et, rien qu'en 1956, année de la sortie de La Veuve Joyeuse, Ismaïl Yassin est présent sur les écrans de cinéma égyptiens avec pas moins de neuf films ! Une omniprésence qui finira d’ailleurs par lasser son public. Sans vouloir offenser quiconque, on peut supposer que cette absence a sans doute contribué à la qualité de notre comédie : si Ismaïl Yassin y avait participé, nul doute que l'atmosphère et l'esprit en eussent été radicalement changés, la vedette comique y aurait imposé son style, celui de la farce parfois un peu grossière, à mille lieues donc de cette Veuve Joyeuse (Même si on peut considérer le travestissement d'Abdel Salam Al Nabulsi dans la dernière partie du film comme un hommage à l'interprète de Mademoiselle Hanafi !) .

Appréciation : 5/5
*****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

lundi 16 décembre 2019

Rêves de jeunes filles (Ahlam Al-Banat, 1959)

أحلام البنات
ﺇﺧﺮاﺝ: يوسف معلوف




Youssef Maalouf a réalisé Rêves de jeunes filles en 1959.
Distribution : Berlanti Abdel Hamid (Doria), Shokry Sarhan (Ahmed), Abdel Salam Al Nabulsi (Mounir), Zizi Al Badraoui (Hoda), Mary Moneib (Nargiss), Mary Ezz El Din, Nadia Ezzat, Mahmoud Lotfi (Ragab), Abdel Halim Elqala'awy, Abdel Moneim Basiony, Hassan Tawfik, Nahed Samir, Maha Sabry (Nahed), Hussein Riad (Sami, le propriétaire du magasin), Roshdy Abaza (Kamal), Omar El-Hariri (Mamdouh), Hassan Fayek (Fayek), Imthethal Zaki 
Scénario : Abdel Aziz Salam 
Musique : Baligh Hamdy, Farid Ghosn, Izzat El Gahely, Youssef Saleh, Mounir Mourad 
Production : Nahas Films

Hassan Fayek et Omar El Hariri

Berlanti Abdel Hamid

Maha Sabry

Mary Moneib

Berlanti Abdel Hamid et Abdel Salam Al Nabulsi

Hussein Riad et Zizi Al Badraoui

Maha Sabry et Zizi Al Badraoui

Chukry Sarhan

Rushdy Abaza et Berlanti Abdel Hamid


Résumé

Doria, Hoda et Nahed sont trois filles qui travaillent comme vendeuses dans un grand magasin. Elles partagent un appartement dans un quartier populaire de la capitale. Chacune a un rêve : Hoda souhaiterait connaître le grand amour et rencontrer un jeune homme pauvre comme elle. Nahed veut devenir chanteuse. Doria, quant à elle, rêve d’épouser un homme fortuné. Mounir, le directeur du magasin, est amoureux d’elle mais Doria le repousse : il n’est pas assez riche. 

Ahmed est le fils de Sami, le propriétaire du magasin. Après des études à l’étranger, il souhaite faire un stage chez son père pour parfaire sa formation. Sami le confie à son directeur sans lui dire que c’est son fils. Mounir l’engage comme coursier. Ahmed prendra son poste le lendemain matin. Doria et ses deux amies sortent du magasin en même temps que le jeune homme. Prenant celui-ci pour un riche client, Doria feint de se fouler la cheville pour qu’il les reconduise toutes les trois chez elles dans sa puissante automobile. Mais quand le lendemain, elle s’aperçoit qu’il n’est qu’un simple employé du magasin, elle se détourne de lui et c’est la douce Hoda qui tombe amoureuse du jeune homme. 

Les trois filles quittent leur quartier populaire pour s’installer à Garden City, un quartier très chic du Caire. Elles ont trouvé des chambres à louer dans la maison de Nargiss, une ancienne chanteuse. La vieille dame est aussitôt conquise par ses nouvelles locataires. Elle veut aider Nahed à devenir chanteuse et elle l’envoie chez M. Fayek, un directeur de théâtre. Quand Nahed pénètre dans l’établissement, une répétition est en cours et autour de M. Fayek, il y a Mamdouh, le metteur en scène et Kamal, le producteur. Malheureusement, cette fois-là, Nahed chante horriblement faux. Elle est aussitôt expulsée. Mais la jeune chanteuse ne s’avoue pas vaincue : elle pénètre à nouveau dans le théâtre et enregistre une chanson sur le magnétophone du metteur en scène. Peu après, Fayek et ses deux collègues écoutent la bande enregistrée. Ils sont transportés par la beauté de la voix de Nahed. Kamal part à la recherche de la jeune fille. Il se rend dans la maison de Nargiss et fait la connaissance de Doria. 

Pour les trois filles, les événements se précipitent et semblent combler les désirs de chacune. Nahed est engagée par M. Fayek et une inclination mutuelle naît entre elle et Mamdouh, le metteur en scène. Ahmed et Hoda sont très épris l’un de l’autre et ils projettent de se marier. Enfin, Kamal a promis à Doria de lui offrir tout ce dont elle rêve. 

Mais pour Hoda et Doria, les choses vont être plus difficiles que prévu. Hoda apprend enfin qu’Ahmed est le fils du propriétaire du magasin. Elle veut rompre immédiatement : leur différence sociale empêche toute union fondée sur l’amour et la confiance. Il faut l’intervention du père d’Ahmed, pour que la jeune femme accepte d’épouser le riche héritier. Quant à Doria, la désillusion est brutale : Kamal n’a jamais eu l’intention de l’épouser mais veut juste profiter d’elle. Un soir, alors que le jeune homme a bu de manière excessive, il tente de la violer. Elle est sauvée par l’irruption dans l’appartement de Mounir, le directeur du magasin. Elle comprend enfin que chez un homme l’amour véritable est plus important que la fortune. Mounir et Doria retrouvent tous leurs amis au théâtre où se produit Nahed.

mercredi 20 septembre 2017

Ismaël Yassin à l'armée (Ismaïl Yassine fil geish, 1955)

إسماعيل يس في الجيش
إخراج : فطين عبد الوهاب





Fateen Abdel Wahab a réalisé Ismaël Yassin à l'Armée en 1955.
Distribution : Reyad El Kasabgy (Attiya), Ismaël Yassin (Termis), Samira Ahmed (Samira), Abdel Salam Al Nabulsi (Zizou), Gamalat Zayed (la mère de Samira), Soad Ahmed (la mère de Termis), Abdel Ghany Al Nagdi (Okal), Hassan Atla (Hussein), Mahmoud Lotfi (le père de Zizou)
Scénario : Fateen Abdel Wahab
Dialogues : Abou Al Seoud Al Ebiary
Musique : Fouad El Zahry, Fathy Qoura, Mounir Mourad
Production : Al Hilal Films

Samira Ahmed

Reyad El Kasabgy et Ismaël Yassin

Abdel Salam Al Nabulsi et Ismaël Yassin

Gamalat Zayed et Reyad El Kasabgy

Ismaël Yassin et Abdelghany Al Nagdi


Résumé

Un groupe d’hommes résidant dans le même quartier sont convoqués par le ministère de la défense pour une session d’entraînement militaire. Parmi eux, nous trouvons Okal, un vendeur ambulant, Zizou, le coiffeur, Zaki qui était chargé de distribuer les convocations sans savoir que lui aussi était le destinataire de l’une d’entre elles et enfin, Hussein, le mari d’Oum Abdo. Celle-ci est la mère de Samira, la jeune fille dont est amoureux Zaki. Malheureusement, il a un rival : l’officier Attiya qui est justement chargé de la formation des nouveaux appelés... 
Le militaire a déjà fait sa demande en mariage et la mère de Samira le verrait volontiers comme son futur gendre. Malgré les épreuves que lui inflige l’officier, Zaki se conduit toujours en bon soldat. Lui et ses compagnons ont surmonté leurs réticences du début et comprennent que c’est un honneur de combattre pour son pays. La conduite exemplaire de Zaki lui vaut la reconnaissance de ses supérieurs et l’admiration des autres soldats. Elle lui permettra aussi de gagner définitivement le cœur de Samira.


Critique

En 1954, Fateen Abdel Wahab réalise Mademoiselle Hanafi avec l’acteur Ismaël Yassin dans le rôle principal. Le succès est immense. Du jour au lendemain, Ismaël Yassin devient une star, célèbre dans tout le monde arabe. Surfant sur cette popularité, le comédien et le réalisateur vont enchaîner les tournages. Fateen Abdel Wahab reprend un procédé dont il avait été « l’inventeur » en 1951 avec Ismaël Yassin et la Maison Hantée : inclure dans le titre du film le nom de son acteur fétiche. Après Mademoiselle Hanafi, cette formule a un effet magique sur le public et les salles se remplissent instantanément. A noter que Fateen Abdel Wahab n’a pas l’usage exclusif de ce procédé : d’autres réalisateurs l’adoptent (cédant sans doute aux sollicitations plus ou moins appuyées des producteurs) et on continuera à voir des films dont le titre commence par Yassin jusqu’au milieu des années soixante, époque à laquelle l’étoile de l’acteur commencera à pâlir. 

Les politiques eux aussi s’intéressent à l’incroyable popularité d’Ismaël Yassin. En 1955, la prise de pouvoir par les militaires a déjà trois ans et ceux-ci ressentent le besoin de redorer le blason de leur institution auprès de la population et notamment auprès des jeunes. L’armée veut recruter : depuis 1948, l’Egypte est en conflit permanent avec le nouvel état d’Israël, ses besoins en hommes sont donc considérables. Pour être plus attractive, il lui faut changer son image. Fateen Abdel Wahab et Ismaël Yassin vont l’y aider. Ensemble, ils vont réaliser entre 1955 et 1959, six films à la gloire de l’armée et de la police. Le premier, c’est ce film réalisé en 1955, Ismaël Yassin à l’armée. Le deuxième, Ismaël Yassin dans la police, sort cette même année. Puis suivront, Ismaël Yassin dans la Marine (1957), Ismaël Yassin dans la Police Militaire (1958), Ismaël Yassin dans l’Aviation (1959). La série se clôt avec Ismaël Yassin dans la Police Secrète (1959). 

Ces six comédies sont donc conçues comme des oeuvres de propagande. Pour Ismaël Yassin à l’Armée, les autorités militaires ont même autorisé, et c’est une première, la production à tourner au sein d’une caserne et les figurants sont tous de vrais soldats réquisitionnés pour les besoins du film. Nasser en personne assistera à la première projection publique d’Ismaël Yassin à l’Armée, projection qui se déroule le 23 juillet 1955, jour anniversaire de la prise de pouvoir par les Officiers Libres (23 juillet 1952). 

Malgré son aspect « officiel », ce premier volet de la série n’a rien du navet édifiant et cocardier. Fateen Abdel Wahab est à la barre et il est l’un des cinéastes plus les doués de sa génération. Certes, dans Ismaël Yassin à l’Armée, il doit mettre son savoir-faire et son talent au service d’un message patriotique qui ne souffre aucune réserve. L’intrigue nous montre comment l’armée métamorphose des êtres craintifs et maladroits en valeureux soldats prêts à se sacrifier pour la nation. Mais dans ce cadre très strict, Fateen Abdel Wahab parvient à défendre les droits de la comédie et du rire, ce qui empêche Ismaël Yassin à l’Armée de sombrer dans le prêchi-prêcha indigeste (ce que, soit dit en passant, n’évitent pas bon nombre de comédies d'aujourd’hui au message très « politiquement correct », mais ceci est un autre débat.). 

On retrouve donc ici l’univers burlesque et satirique cher au cinéaste. Toutes les épreuves auxquelles doivent se soumettre Zaki et ses deux compagnons sont autant de prétextes à gags, parfois un peu convenus mais toujours réalisés avec le plus grand soin. Et comme dans toute comédie militaire qui se respecte, on a un sergent à la mine patibulaire -incarné par l’excellent Reyad El Kasabgy- dont on défie l’autoritarisme borné et que l’on tourne en ridicule. L'esprit est parfois très proche de celui des Gaietés de l’Escadron du dramaturge français Georges Courteline, en moins féroce évidemment. Rien d’original donc mais l’ensemble emporte l’adhésion par un sens du rythme et du spectacle qui est la marque de fabrique de Fateen Abdel Wahab. Ce qui étonne aussi, c’est la maîtrise avec laquelle le cinéaste réalise ses scènes de groupes, très nombreuses. Il transforme un défilé au pas de plusieurs centaines de soldats en un ballet d’une légèreté aérienne ! 

Mais au-delà de son caractère divertissant, l’intérêt principal du film réside dans son aspect documentaire. La vie quotidienne des militaires est évoquée avec une grande précision et un souci constant de vérité. En fait, le véritable héros d’Ismaël Yassin à l’Armée, c’est le simple soldat, engagé ou appelé. Dans toutes les scènes du film, le réalisateur prend bien soin de mêler ses acteurs professionnels aux vrais troupiers qui se préparent au combat. Très habilement, Fateen Abdel Wahab transforme une œuvre de propagande au service du pouvoir en hommage aux sans grade et aux sous-officiers qui paient de leur vie la défense du peuple et de la nation. D’ailleurs, au début du générique, c’est bien eux que la production remercie pour leur participation et non les autorités militaires pour les facilités accordées lors du tournage. 

En fin de compte ce premier opus « patriotique » du duo le plus célèbre de la comédie égyptienne est une réussite si l’on veut bien considérer les limites très restrictives du genre (Pour être juste, il faudrait dire trio : la présence du scénariste Abou Al Seoud Al Ebiary participe aussi à cette réussite.).


Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin