samedi 16 janvier 2021

Monter vers l’abîme (Al-Soa'd Ela Al-Hawya, 1978)

الصعود الى الهاوية
إخراج : كمال الشيخ


Kamal El Sheikh a réalisé Monter vers l'Abîme en 1978.
Distribution : Mahmoud Yassin, Madiha Kamel, Gamil Rateb, Ibrahim Khan, Eman, Imad Hamdi, Nabil Nour Eddin, Salah Rashwan, Taysir Fahmi, Nabil El Dessouky, Nawal Fahmy, Mohamed Sultan, Ismaïl Abdel Meged, Jack Meer, Eve Bino, Claude Cernay, Narges Attiya, Abdul Latif bin Jeddo, Abdul Moneim Al Nimr, Hattab Al Dhib 
Scénario : Saleh Morsi et Maher Abdel-Hamid 
Musique : Tarek Sharara

Imad Hamdi et Madiha Kamel



Nawal Fahmy



Gamil Rateb



Mahmoud Yassin



Ibrahim Khan



Mahmoud Yassin et Salah Rashwan



Nabil El Dessouky



Mohamed Sultan



Madiha Kamel



Madiha Kamel et Eman


















Résumé

Nous sommes en 1969, deux ans après la défaite de la guerre des six jours. Abla Kamel est une jeune femme qui souffre de la mésentente de ses parents. Son père est un enseignant, au caractère faible. Il laisse son épouse dépenser toutes leurs économies dans d’interminables jeux de cartes. Abla croit avoir trouvé le bonheur en la personne de Ramzi, un jeune homme riche. Elle l’aimait et elle croyait être aimée. Il lui avait promis le mariage et elle s’est abandonnée à lui. Las ! Il la quitte peu après. Elle est désespérée. Pourtant un autre homme l’aime sincèrement. C’est, Sabri Abdel Moneim, un ingénieur des forces armées mais elle ne ressent rien pour lui sinon de l’amitié. Abla ne supporte plus l’Egypte et elle part en France pour étudier la littérature à la Sorbonne. Elle a trouvé une chambre dans un hôtel bon marché. Sa nouvelle vie la ravit. Elle fait la connaissance de Madeleine qui elle aussi est étudiante. Elle appartient à un milieu privilégié et mène une existence agréable dans la capitale française. Les deux jeunes femmes sortent régulièrement ensemble. Madeleine est homosexuelle et elle ne cache pas son attirance pour Abla. Cette dernière finit par lui céder. En fait, Madeleine est en relation avec les services secrets israéliens. Elle contacte Edmond, un agent du Mossad et lui propose de recruter Abla en précisant que la jeune égyptienne est follement aimée d’un ingénieur travaillant pour l’armée. Ce détail ne manque pas d’intéresser Edmond. Il parvient à faire connaissance avec Abla et très vite à gagner sa confiance. Il lui fait visiter les plus beaux endroits de Paris. Il prétend travailler pour une organisation internationale qui œuvre pour la paix entre les peuples et il lui propose de devenir sa collaboratrice. Les conditions financières sont alléchantes et Abla accepte, heureuse à la perspective de quitter sa petite chambre d’hôtel pour un luxueux appartement. Quand elle comprendra pour qui elle travaille et ce qu’on attend d’elle, il sera trop tard. 

Edmond lui a demandé de se rendre en Egypte. Elle revoit sa mère mais son père était parti travailler en Tunisie. Elle exécute ensuite sa mission : elle retrouve Sabri, lui fait croire qu’elle est amoureuse de lui et couche avec lui. Après cela, l’ingénieur ne pourra plus rien refuser à sa bien-aimée et il est disposé à lui livrer des renseignements ultra confidentiels. Mais c’est sans compter les services secrets égyptiens qui sont déjà à la manœuvre. L’officier Khaled Selim en charge du dossier comprend vite le rôle joué par Sabri dans cette affaire d’espionnage. Il le neutralise en le faisant muter et en lui fournissant de fausses informations. Avec ses hommes, il se rend à Paris. C’est là qu’il rencontre Abla qui, de retour en France, dirige une boutique de mode afin de mieux dissimuler ses véritables activités. Khaled Selim découvre l’incroyable réseau que la jeune femme a réussi à se créer. Elle fréquente les milieux diplomatiques arabes de la capitale française et au besoin, couche avec de hauts responsables pour obtenir toutes les informations qui intéressent l’état hébreu. Pour la mettre hors d’état de nuire, l’officier égyptien a une idée. Avec la collaboration des services secrets tunisiens, il fait croire à Abla que son père est gravement malade et qu’il est hospitalisé à Tunis. Folle d’inquiétude, Abla s’envole pour la Tunisie. A l’aéroport, elle est accueillie par Khaled Selim qui parvient à l’attirer dans un avion privé. Destination finale : l’Egypte. Abla et Sabri seront jugés, condamnés à mort et exécutés.


Informations diverses

Ce film s’inspire de l’histoire d’Heba Selim, une espionne égyptienne au service du Mossad. Elle avait épousé un ingénieur de l’armée et c’est grâce à lui qu’elle communiquait aux Israéliens des informations très précieuses sur l’emplacement des bases anti-missiles des forces armées égyptiennes. Après l’arrestation et la condamnation de Seba et de son mari, Sadate refusera toutes les demandes en grâce. L’espionne sera pendue tandis que son mari sera fusillé. 

Avant de le confier à Madiha Kamel, Kamal El Sheikh avait proposé le rôle d’Abla à Soad Hosni et à Nagla Fathi. La première avait refusé de peur de s’aliéner une partie de son public en jouant une jeune femme qui trahit sa patrie par cupidité. La seconde souhaitait qu’on modifie la fin du film afin de rendre le personnage plus sympathique. Cette fois-là, c’est Kamal El Sheikh qui a refusé. 

"Monter vers l'Abîme" est riche en images de Paris dans les années soixante-dix. Les personnages déambulent à travers les rues et les jardins de la capitale, déjeunent au restaurant, assistent à des spectacles, font du lèche-vitrines. A un moment, Abla et Madeleine vont au cinéma. On les voit sortir de la salle tandis qu’à gauche de la porte, un groupe de jeunes gens semblent commenter la grande affiche fixée au mur. Cette affiche est celle d’un film érotique « Les Enjambées », réalisé par Jeanne Chaix avec Valérie Boisgel et Claudine Beccarie. Petit anachronisme : ce film ne sortira qu’en 1974. Quand la porte se referme derrière les derniers spectateurs, on s’aperçoit qu’il y a à droite une autre affiche : cette fois-ci, c’est celle du premier dessin animé de Lucky Luke qui date de 1971. Il est bien étrange de trouver réunis ces deux films qui ne sont pas tout à fait destinés au même public ! Une devinette : lequel des deux ont été voir les deux amies, "Les Enjambées" ou "Lucky Luke" ? Un indice : dans la scène précédente, quand Madeleine et Abla se retrouvent à l’entrée de la Sorbonne, la première propose d’aller au cinéma. La seconde demande, en français : « Quel film ? » Réponse : « Tu verras ! »


Critique

C'est un film qui se place résolument du côté de l’histoire officielle. Il s’agit d’édifier les masses sur le zèle et l’acharnement que mettent les agents de l’Etat à combattre jour et nuit les ennemis de la patrie. En 1973, l’Egypte a lavé par les armes l’affront subi en 1967 et elle est redevenue la première nation du monde arabe. Chaque Egyptien doit être fier de son pays et le servir fidèlement et quiconque le trahirait pour le compte d’une puissance étrangère doit s’attendre à être châtié sans merci. Voilà le message quelque peu stalinien de Monter vers l’Abîme et cela pourrait suffire à le classer dans les œuvres périssables dont la forte teneur en idéologie interdit toute ambition artistique. Mais ce serait une erreur. Le réalisateur est Kamal El Sheikh à qui on doit de grands classiques du septième art égyptien. Ce n’est certes pas son plus grand film. Le sujet se prête peu à des variations personnelles et pourtant Monter vers l’Abîme n’est pas dénué d’intérêt.

Le réalisateur s’est vraiment intéressé à ses personnages et a su se garder de tout manichéisme. Abla Kamel, l’espionne, nous est présentée dans toute sa complexité, à la fois une jeune fille très naïve qu’on manipule aisément mais aussi une femme cupide qui n’hésite pas à donner son corps en échange de renseignements ultra-secrets. Ce film est avant tout un portrait de femme radiographiée dans toutes ses dimensions, psychologique, sociale et politique. Au final, on peut se demander dans quelle mesure cette espionne n’est pas l’archétype de la jeune femme égyptienne en ce début des années soixante-dix. Abla Kamel, comme toutes ses consœurs issues des classes moyennes ou supérieures, souhaite s’échapper d’une société rétrograde, triste à mourir, et rêve d’une vie libre dans un monde où tout est permis. La découverte de Paris est une révélation. Mille tentations s’offrent à la jeune étudiante mais pour en profiter, il lui faut de l’argent, beaucoup d’argent. Abla Kamel veut goûter à tout mais ce qui la fascine en premier lieu, c’est la liberté sexuelle qui règne dans ce Paris des seventies. Kamal El Sheikh nous montre son héroïne assistant à des spectacles érotiques et faisant l’expérience de l’amour homosexuel avec une condisciple de la Sorbonne. D’ailleurs, c’est par le sexe plus que par l’argent que les services secrets israéliens parviennent à recruter la jeune égyptienne. Sur ce plan, les auteurs du film jouent un peu les moralisateurs : Paris est certes la capitale mondiale du savoir et de la culture mais c’est aussi un lieu de perdition pour les jeunes filles arabes qui y laisseront leur candeur et leur innocence (On n’est pas loin de la Paysanne Pervertie de Restif la Bretonne).

Néanmoins, les scènes avec les deux jeunes femmes sont parmi les plus réussies du film et on ne cache rien de la nature véritable de leurs relations. C’est sans doute à ces scènes « scandaleuses » (Je n’ai pas dit « érotiques ! ») que Madiha Kamel et Enam doivent leurs célébrités soudaines dans tout le monde arabe au lendemain de la sortie du film. Malheureusement, leur duo a laissé dans l’ombre les autres interprètes du film qui pourtant sont tous remarquables, notamment Ibrahim Khan dans le rôle de l’ingénieur fou d’amour. Par son interprétation sensible et subtile, il a su nous rendre attachant ce personnage tragique qui souffre le martyr de n’être pas aimé et qui pour tenir dans ses bras l’être adoré est prêt à trahir sa patrie. Kamal El Sheikh nous rappelle cette règle essentielle : on ne fait pas une œuvre digne de ce nom avec des personnages qu’on méprise ou que l’on hait. Paradoxe : c’est le personnage de l’officier égyptien, incarné par Mahmoud Yassin, qui semble le moins humain ; un personnage schématique et sans épaisseur, un monstre froid au service de l’Etat.

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

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