samedi 13 mai 2017

Une Route Sans Fin (Tareq Bela Nehaya, 1969)

طريق بلا نهاية  
ﺇﺧﺮاﺝ: سيف الدين شوكت


Seif El Din Shawkat a réalisé La Route Sans Fin en 1969.
Distribution : Ihab Nafea (Ramzy), Özcan Tekgül (Salma), Ali Chin (le mari de Salma), Amal Ofaysh (la belle-fille de Salma), Haki Haktan (le maire), Ergün Köknar (le propriétaire des bijoux), Tarub (la maîtresse du propriétaire des bijoux)
Scénario : Seif Eddine Shawkat
Production : Tawfiq Al Sabahi

La Route Sans Fin est un film égyptien tourné au Liban et en Turquie. Seif El Din Shawkat (1913-1977) est un réalisateur libanais qui a passé toute sa jeunesse en Hongrie avant de s'installer en Egypte en 1948 et Ozcan Tekgül (1941-2011) est une actrice et danseuse turque.

Ce film est une adaptation très libre du roman Le Facteur sonne toujours deux fois (1934) de l'auteur américain James M. Cain. Seif Eddine Shawkat tournera en 1975 une seconde adaptation de ce polar sous le titre Les Pécheurs, une adaptation quasi identique à celle de 1969. Et en 1980, le réalisateur Mohamed Radi reprendra le scénario de Seif Eddine Shawkat pour L’Enfer, film dans lequel nous retrouvons dans les rôles principaux, Adel Imam et Madiha Kamel. De ces trois versions, seule, Une Route Sans Fin mérite d’être vue.


Ihab Nafea












Ozcan Tekgül













Ali Chin















Amal Ofaysh













Ozcan Tekgul













Tarub


Ergün Köknar et Tarub














Résumé

Ramzi a embarqué sur un paquebot pour mettre la main sur des bijoux que transporte avec lui l'un des passagers. Il s'aperçoit très vite qu'il n'est pas le seul à convoiter ce trésor. Un gang a lui aussi embarqué avec le même projet. Ramzi parvient néanmoins à mettre la main sur le butin avant ses concurrents. Quand ceux-ci constatent la disparition de la précieuse mallette, il a déjà quitté le bateau qui n'était plus très loin de la côte. Une fois à terre, il trouve refuge dans un motel tenu par un vieux monsieur et sa jeune femme, Salma. Très vite, il devient l’amant de la propriétaire. Celle-ci veut convaincre Ramzi qu’il faut éliminer son mari pour qu’ils puissent vivre leur amour au grand jour. Mais le jeune homme a d’autres soucis : les membres du gang qu'il a doublés sur le paquebot ont retrouvé sa trace et rôdent dans la région. N’y tenant plus, Salma coupe les freins de la voiture de son mari. Quand celui-ci la prend, l’accident est inévitable. Il en sort vivant mais sérieusement blessé. A l’hôpital, Ramzi fait la connaissance de la fille de son propriétaire. Elle s’est installée dans la maison de son père pour pouvoir le soutenir. Ramzi tombe amoureux de la jeune femme. Salma devient folle de jalousie. Quand son mari rentre de l'hôpital, elle décide de le supprimer en provoquant une explosion au gaz dans leur résidence. Malheureusement, elle n’a pu se mettre à l’abri et meurt dans la conflagration.


Critique

Une Route sans Fin est un ovni ! C’est un petit film de (mauvais) genre tourné avec des acteurs de second plan à la filmographie clairsemée, voire inexistante. Ils viennent d’Egypte, de Turquie ou bien de Syrie. Le réalisateur lui-même est né au Liban mais a passé une partie de sa jeunesse en Hongrie. C’est dans ce pays qu’il fait ses études de cinéma. Il émigre en Egypte en 1948 et y réalise la plupart de ses films. Il retourne au Liban dans les années 70 et meurt à Beyrouth en 1977. Tout ceci explique sans doute l’esthétique du film qui est très proche de celle de ces productions commerciales bas de gamme dont le Liban s’était fait une spécialité au début des années soixante-dix. Mais la parenté est encore plus grande avec les films turcs de la fin de la période « Yesilçam » (C’est ainsi qu’on appelle l’âge d’or du cinéma turc, des années cinquante aux années 70.). A la fin des années 60, les producteurs d’Istanbul veulent enrayer la baisse de fréquentation des salles obscures du pays, due en grande partie à l’apparition de la télévision. Pour faire revenir le public, ils misent sur le cinéma érotique. On va donc produire à la chaîne des films à l’intrigue mal ficelée avec des acteurs souvent médiocres dans tous les genres du cinéma populaire : films policiers, films d’horreur, comédies, mélodrames. Et à chaque fois, on y insère des scènes érotiques qui se présentent comme le clou de ces nanars vite faits mal faits. 
On pourrait donc avancer qu’Une Route sans Fin appartient à ce « courant », ou du moins qu’il l’annonce. Et en effet, dès la première scène, les auteurs sont clairs sur leurs intentions : nous sommes dans l’univers stéréotypé du polar avec bijoux volés, bandits à pardessus, et femmes à forte poitrine toujours en petite tenue. On craint le pire et pourtant on constate  très vite que ce film n’est pas sans qualités : le roman de James Mac Cain est habilement adapté, l’intrigue est conduite avec une certaine maîtrise, et surtout le cinéaste parvient à créer une atmosphère à la fois cafardeuse et étouffante qui colle bien au tragique de la situation. Les personnages exhalent leur angoisse et s’agitent en vain pour échapper à ce monde poisseux qui se referme sur eux, inexorablement. Le seul qui semble se satisfaire de sa condition, c’est le mari, assommé par l’alcool et les fantasmes sexuels que ravive à chaque instant la présence de sa jeune épouse interprétée par la sulfureuse Özcan Tekgül. 
Et avouons que le film doit beaucoup à la prestation de cette actrice et danseuse turque. Elle met le feu, au propre comme au figuré, à tout ce qui l’entoure et elle est d’un érotisme inouï, notamment dans la scène mi-fantasmée où elle danse devant tous les clients du café comme dans celles où, la nuit venue, elle retrouve son amant tandis que son mari dort du sommeil du juste dans la chambre conjugale. Au passage, on notera la virtuosité de Seif El Din Shawkat dans la scène de la danse, une virtuosité rare pour ce type de séquence dans un film non musical. Pour des raisons commerciales, les producteurs égyptiens ont pendant longtemps imposé aux réalisateurs la présence d’un numéro de danse orientale dans tous leurs films. Ceux-ci se sont toujours exécutés (pas de danse, pas de film !) mais parfois sans grand enthousiasme et c’est donc souvent service minimum : une danseuse, une caméra sur pied, un plan et une seule prise ! Ici, c’est l’inverse et cette danse de l’artiste turque de vingt-huit ans est sans doute l’une des scènes les plus réussies du film : avec une audace sans égale, la caméra épouse au plus près les mouvements reptiliens du corps dénudé d’Özcan Tekgül et le résultat rappelle l’esthétique érotico-psychédélique d’un certain cinéma américain de la fin des années soixante. 

Bref, Une Route Sans Fin est un film de série B qui mérite toute notre sympathie ! 

Appréciation : 3/5
***
Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin



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