mardi 17 mai 2016

Le Voyage de la Vie (Rihlat al oumr, 1974)

رحلة العمر
ﺇﺧﺮاﺝ: سعد عرفه





















Saad Arafa a réalisé le Voyage de la Vie en 1974.
Distribution : Chams Al Baroudi, Ahmed Mazhar, Mariam Fakhr Eddine, Ali Kamal, Samia Roshdi, Naïma Wasfi, Hamdy Youssef
Scénario : Saad Arafa
Musique : Gamal Salama

Ali Kamal

Ahmed Mazhar

Ahmed Mazhar et Chams Al baroudi

Chams Al Baroudi et Ahmed Mazhar


Résumé

Salwa (Chams Al Baroudi) est une jeune femme qui vit au Caire avec sa tante. Elle fréquente un garçon de son âge, Essam. Ils ont projeté de passer quelques jours à Sidi Abdel Rahman (station balnéaire à l’ouest d’Alexandrie). Salwa s’y rend sans son compagnon qui doit la rejoindre plus tard. Elle lui réserve une chambre à côté de la sienne. Mahmoud (Ahmed Mazhar), un directeur de banque d’âge mûr arrive à l’hôtel. C’est un habitué et il occupe toujours la même chambre, celle qu’a réservée Salwa pour Essam. Le responsable de l’établissement demande à la jeune femme de la céder à l’homme d’affaires jusqu’à l’arrivée de son ami. Elle accepte. Salwa et Mahmoud se retrouvent à cohabiter dans un hôtel désert. Pour tromper son ennui, la jeune femme entreprend de séduire son voisin Celui-ci est mariée à Madiha (Mariam Fakhr Eddine) mais il ya bien longtemps qu’entre eux la passion s’est envolée. Il cède donc facilement aux avances de Salwa. Loin de tout, ils vont vivre une relation torride. Quand Essam arrive à son tour, Salwa l’informe aussitôt qu’elle veut rompre. Le jeune homme retourne au Caire. Peu de temps après, les deux amants rentrent à leur tour dans la capitale. Le banquier tente de reprendre sa vie d’avant mais c’est impossible : il est obsédé par sa jeune maîtresse et il ne peut même plus faire l’amour à sa femme. En revanche Salwa a retrouvé les compagnons et les activités de son âge. Elle s’éloigne de celui qui fut pendant quelques jours son amour de Sidi Abdel Rahman. Mahmoud est désespéré. Il essaie d’oublier la jeune femme mais rien n’y fait. Un soir, il se rend à son appartement pour une explication. L’entretien prend une tournure dramatique : Mahmoud, aveuglé par la passion, tente de violer Salwa mais elle parvient à lui résister. Quand il recouvre la raison, le quadragénaire comprend qu’il l’a définitivement perdue. Il rentre chez lui. La maison est vide. Madiha l’a quitté car elle a découvert sa liaison adultère.


Critique

Dans les années soixante-dix, l’actrice Shams Al Barudi est au zénith de sa carrière de sex-symbol du cinéma arabe. Elle apparaît dans un grand nombre de productions où elle joue invariablement les jeunes femmes libérées à l’activité sexuelle débridée. Elle est tantôt une étudiante qui séduit ses condisciples et ses professeurs, tantôt une mère de famille qui entretient une relation adultère avec le patron de son mari, tantôt une criminelle qui, avec les armes que lui a données la nature, manipule ses redoutables complices. A chaque fois on retrouve la séductrice qui dévoile ses appas pour attirer tous les hommes de son entourage, sans distinction de classe ou d’âge.
Elle était donc l’actrice idéale pour ce Voyage d’Une Vie, film « scandaleux » qui traite sans fard de l’amour et de la sexualité dans la société égyptienne post-nassérienne.
On n’est pas très loin de certains films occidentaux de cette époque dans lesquels on mélange, selon une recette éprouvée, érotisme soft et vacances au soleil. Au départ tout oppose Salwa, jeune fille délurée et Mahmoud, l’homme d’affaires d’âge mur. Mais la sexualité va les réunir. A l’hôtel ou sur la plage, ils vont connaître un amour sans contrainte. Ils vont jouir d’une liberté absolue et vivre leur relation en pleine lumière. Nul souci de se cacher : les conjoints, les parents, les collègues sont loin, les serviteurs de l’hôtel à peine présents. C’est un peu sea, sex and sun à Sidi Abdel Rahman. Les images chatoyantes d’un amour de vacances sont accompagnées d’une musique sensuelle avec chœurs gémissants. L’homme d’âge mûr semble nager en plein rêve et on comprend que le retour à la réalité sera pour Mahmoud une épreuve insupportable, ce retour qui sera l’objet de la seconde partie du film.
Mais le plus singulier dans ce film, c’est que ce rêve a toutes les caractéristiques d’un cauchemar. Les deux personnages évoluent dans des lieux totalement déserts : la plage qui s’étend à l’infini sans âme qui vive, le hall de l’hôtel où n’apparaît qu’un réceptionniste froid et poli, l’immense salle du restaurant où ne déjeunent que les deux héros. Ces derniers sont souvent filmés à l’arrière plan, comme pour souligner le vide qui les entoure. Ce traitement de l’espace rappelle celui de Stanley Kubrick dans 2001 l’Odyssée de l’Espace ou bien dans Shining. L’angoisse est décuplée avec la bande-son: les bruits sont distordus, les voix toujours accompagnées d’un écho désagréable. Salwa possède un transistor qui diffuse une musique nasillarde à la limite du supportable et surtout, elle rit, elle rit beaucoup jusqu’à créer le malaise chez le spectateur lui-même : est-ce le diable ? ou bien est-elle tout simplement folle ? On comprend alors que le point de vue adopté est celui de Mahmoud. Il connaît à la fois les délices d’une passion amoureuse inespérée et un très fort sentiment de culpabilité sans cesse ravivé par les conversations téléphoniques avec sa femme restée au Caire. Ahmed Mazhar, avec un jeu d’une extrême subtilité, parvient à restituer tous les tourments de son personnage plongé dans la plus grande des félicités. Ce grand acteur est aussi extraordinaire dans la seconde partie du film. De retour au Caire, le chef d’entreprise qu’il incarne n’est plus qu’une coquille vide. Il ne parvient plus à retrouver goût à son existence d’avant et erre dans les rues, obsédé par l’image de celle qu’il a possédée et qui s’éloigne inexorablement. En réalité le cours séjour paradisiaque dans cet hôtel de Sidi Abdel Rahman constituait le premier acte d’une tragédie dont le réalisateur, Saad Arafa, nous laisse imaginer le dénouement. 
Dans le Sexe et l’Effroi, Pascal Quignard oppose l’érotisme des Grecs et celui des Romains. Chez les Grecs, la sexualité est heureuse, sans tabou. En revanche chez les latins, elle est à la fois effrayante et fascinante, toujours associée à la mort.
Risquons un parallèle : si la libération sexuelle dans l’occident des années 70 fut d’inspiration grecque, alors, en orient, à la même époque elle fut plutôt romaine. Ce que prouve avec éclat ce Voyage d’Une Vie. 

Appréciation : 4/5
****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

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