vendredi 24 avril 2020

La Veuve Joyeuse (El armala el tarub, 1956)

الأرملة الطروب
إخراج : حلمى رفلة



Helmy Rafla a réalisé La Veuve Joyeuse en 1956.
Distribution : Leila Fawzi (Samira, la fille d’Abdel Aal), Kamal Al Shennawi (Magdy), Abdel Salam Al Nabulsi (Asim Bey Kayamakli), Zinat Sedki (la femme de chambre de Samira), Hassan Fayek (Abdel Aal, le père de Samira), Adly Kasseb (Mahdi Effendi), Mohamed Gamal (Hechmat), Zeinat Olwi (danseuse), Kitty (danseuse), Victoria Hobeika (la mère d’Hechmat)
Scénario : Aboul Seoud Al Ibiary, Helmy Rafla, Mustafa El Sayed, Fathy Qoura
Musique : Mohamed Gamal et Mahmoud El Sherif

Hassan Fayek et Kamal Al Shennawi

Leila Fawzi

Mohamed Gamal

Leila Fawzi et Kamal Al Shennawi

Hassan Fayek

Kamal Al Shennawi et Mohamed Gamal

Abdel Salam Al Nabulsi et Leila Fawzi

Zinat Sedki et Leila Fawzi

Kitty




Résumé

Abdel Aal aime l’argent et la bonne chère. Il a forcé sa fille Samira à épouser Rostom Bey Kayamakli, un riche turc de quarante ans son aîné. Samira s’est installée dans le pays de son mari et a mené une vie luxueuse mais sans amour. 
Au bout de cinq ans de vie commune, son mari meurt. Toute la famille est réunie pour entendre les dernières volonté du défunt : sa veuve jouira de sa fortune tant qu’elle restera seule. Si elle se remariait, l’héritage reviendrait à sa famille. Au cas où elle mourrait, en étant restée célibataire, c’est son père qui récupérerait l’argent de Rostom. Asim Bey Kayamakli, le frère du défunt, est prêt à tout pour que cette fortune reste dans leur famille. Il a trouvé la solution : il va épouser Samira. Quand cette dernière lui signifie son refus d’un tel « arrangement », il menace de la tuer. Elle est obligée d’accepter. Mais profitant de l’absence de son beau-frère, elle fuit en compagnie de Lawahiz, sa servante et rentre en Egypte. 
 Asim Bey constatant le départ de sa « future femme », contacte un parent résidant en Egypte, Mahdi Effendi, un haut fonctionnaire, sous-secrétaire d’état. Celui-ci a une idée : il convoque Magdy, un parent lui aussi, qui travaille dans l’administration et qui est célèbre pour ses conquêtes féminines. Il lui donne une mission : il sera généreusement récompensé s’il parvient à séduire Samira et à l’épouser. Magdy se présente au domicile de l’héritière tant convoitée. Dans le jardin, il voit une femme courir après une poule : c’est Samira. Il est frappé par sa beauté et il est très étonné d’apprendre pas la bouche de celle-ci qu’elle n’est qu’une simple servante. Elle le devance dans la maison pour prévenir sa maîtresse, dit-elle. Samira demande à sa femme de chambre de se faire passer pour elle. Lawahiz reçoit avec rudesse le visiteur qui est interloqué par cet accueil. Ils sont rejoints peu après par le père de Samira qui lui aussi est mis dans la confidence. Il est enchanté de ce tour, ne souhaitant évidemment pas que sa fille se marie et que son héritage tombe dans l’escarcelle d’Asim Bey Kayamakli. 
La difficulté, c’est que Magdy est tombé amoureux de Samira, toute servante qu’elle prétend être et Samira, elle aussi finit par succomber au charme du nouveau venu. Naturellement, Magdy refuse de rester le complice d’Asim er de Mahdy et quand le frère du défunt arrive en Egypte pour vérifier le bon déroulement des opérations, le jeune homme lui annonce qu’il est désormais impossible pour lui d’épouser Samira. Heureusement, le remplaçant est tout trouvé : c’est Hechmat, un jeune collègue de Magdy qui accepte la mission. Le lendemain, Asim, déguisé en vieille femme et accompagné d’Hechmat, rencontre le père de Samira. Il prétend être la mère du garçon et il vient demander en son nom la main de la jeune fille. Il précise que la dot sera importante. Abdel Aal, sachant qu’il n’est pas question de sa fille mais de Lawahiz, accepte volontiers ce projet d’union. 
Une réception est organisée pour officialiser les fiançailles. Asim Bey Kayamakli y paraît, toujours déguisée en vieille femme. Malheureusement pour lui, la véritable mère d’Hechmat fait son apparition et le démasque. C’est alors que tous les masques tombent. Magdy comprend que la femme qu’il aime est bien Samira, l’héritière de Rostom, Abdel Aal découvre que sa fille est amoureuse de Magdy, ce qui compromet leur chance de conserver l’héritage. Abdel Aal chasse Magdy de chez lui et enferme sa fille dans sa chambre. Pendant ce temps-là, Asim Bey Kayamakli ne s’avoue pas vaincu. Il enlève Samira mais celle-ci parvient à s’échapper. Elle se rend aussitôt chez Magdy pour tenter de s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé à lui cacher son identité. Son bien-aimé n’ a guère apprécié d’avoir été ainsi trompé et il lui marque une très grande froideur. Tous les autres protagonistes de l’histoire font leur apparition et chacun veut faire valoir ses revendications à l’imam qui les a accompagnés. Il faut que Samira menace de se jeter dans le vide pour qu’enfin on accepte de prendre en compte ses propres désirs et volontés.


Critique

Cette Veuve Joyeuse est un petit chef d’œuvre, une comédie brillante qui illustre admirablement ce que l’âge d’or du cinéma égyptien fut capable de produire grâce aux talents conjoints de ses acteurs, de ses réalisateurs et de ses scénaristes. Pendant une vingtaine d’années, ces artistes offrirent au public d’innombrables films qui sont aujourd’hui devenus des classiques, aussi bien dans le drame que dans la comédie. La formule « Hollywood sur le Nil »n’ était alors nullement galvaudée. A partir des années soixante-dix, le secret de ce savoir-faire semble progressivement se perdre et dans les années quatre-vingt, le cinéma égyptien n’est plus que l’ombre de lui-même, tentant de survivre en proposant des films dont on dissimulait la médiocrité par un discours prétendument « engagé ». Evidemment, il y eut des exceptions mais trop peu nombreuses pour influer en quoi que ce soit sur une tendance bien regrettable. 
Revenons donc à notre Veuve Joyeuse, paradigme de la comédie pétillante de ces années cinquante. C’est un divertissement, certes mais un divertissement haut de gamme. Nous avons d’abord une intrigue à la Marivaux : la servante et la maîtresse qui échangent leur rôle, un séducteur cynique qui découvre soudain l’amour véritable. Le scénariste, Aboul Seoud Al Ibiary (ici, au zénith de son talent) multiplie les rebondissements, sans tordre le cou à la vraisemblance mais sans rien s’interdire : les deux héros font connaissance en poursuivant une poule ! Nous avons aussi un réalisateur, Helmy Rafla, qui filme cette histoire, avec une légèreté, une élégance hors pair, ce qui permet à cette Veuve Joyeuse de rivaliser avec les meilleures comédies d’Hollywood. On pense plus d’une fois à Howard Hawks, le réalisateur de Chéri, je me sens rajeunir ou des Hommes préfèrent les Blondes. Autre qualité du film : Helmy Rafla parvient à faire rire son public tout en veillant à garder une touche romantique à son histoire et certaines scènes sont d’une grande beauté comme celle du baiser dans l’arbre ou bien celle de l’héroïne au bain entourée de ses servantes. 
Si l’intention première des auteurs de ce film est d’amuser le public, ils ne s’interdisent pas d’évoquer des sujets graves, comme celui de la condition féminine dans la société musulmane. En effet, cette Veuve joyeuse est tout sauf joyeuse. Non seulement, elle a été « vendue » par son père à un homme qui a quarante ans de plus qu’elle, mais celui-ci mort, il lui est interdit de refaire sa vie comme elle l’entend et elle retombe sous l’autorité d’un beau-frère et d’un père qui ont pour seul souci, non son bonheur mais leur intérêt personnel. Et l’un comme l’autre n’hésite pas à la menacer d’une arme pour obtenir de sa part soumission et obéissance. Pour l’héroïne, la situation devient insupportable et elle devra menacer à son tour de se suicider pour qu’on daigne enfin l’entendre. 
Enfin, la grande réussite de ce film tient aussi à la qualité de l’interprétation et notamment à la prestation époustouflante de Leila Fawzi dont le naturel, la sensibilité et bien sûr la beauté en font l’égale de Katharine Hepburn. 
A propos d’interprétation, on notera l'absence d’Ismaïl Yassin au générique. A l’époque, c'est tout à fait exceptionnel car cet acteur règne sans partage sur la comédie populaire. Helmy Rafla tournera avec lui 22 films et, rien qu'en 1956, année de la sortie de La Veuve Joyeuse, Ismaïl Yassin est présent sur les écrans de cinéma égyptiens avec pas moins de neuf films ! Une omniprésence qui finira d’ailleurs par lasser son public. Sans vouloir offenser quiconque, on peut supposer que cette absence a sans doute contribué à la qualité de notre comédie : si Ismaïl Yassin y avait participé, nul doute que l'atmosphère et l'esprit en eussent été radicalement changés, la vedette comique y aurait imposé son style, celui de la farce parfois un peu grossière, à mille lieues donc de cette Veuve Joyeuse (Même si on peut considérer le travestissement d'Abdel Salam Al Nabulsi dans la dernière partie du film comme un hommage à l'interprète de Mademoiselle Hanafi !) .

Appréciation : 5/5
*****

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

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