إخراج : صلاح ابو سيف
Salah Abou Seif a réalisé La Sangsue en 1956.
Distribution : Shadia (Salwa, la fiancée), Chukry Sarhan (Imam, l'étudiant), Taheya Carioca (Shafaat, la logeuse), Abdel Wares Asr (le régisseur), Ferdoos Mohamed (la mère d’Imam), Abdel Moneim Basioni (l’officier de police), Abbas Al Dali (l’oncle d’Imam), Serag Mounir (le père de Salwa), Mary Ezz El Din (la mère de Salwa) Scénario : Youssef Ghorab, Salah Abou Seif
Dialogues : El Sayed Bedeir
Musique : Fouad El-Zahiry, Mounir Mourad, Naguib El Selahdar
Production : Ramsès Naguib
Chukry Sarhan et Taheya Carioca |
Chukry Sarhan |
Shadia et Suliman Al Gindy |
Chukry Sarhan et Abdel Wares Asr |
Résumé
Un jeune paysan, Imam, quitte sa
famille pour aller étudier au Caire. Sa logeuse, Shafaat, est une veuve qui
dirige une fabrique d’huile. Insatisfaite sexuellement elle parvient à séduire
son jeune locataire. Ce dernier est fasciné
par la sensualité de cette femme beaucoup plus âgée que lui. Il sacrifie tout à
cette liaison « infernale ». Imam continue cependant à rendre visite
à des amis de ses parents. Ces derniers ont une fille dont le jeune homme finit
par tomber amoureux. Il souhaite rompre avec Shafaat qui ne l’entend pas de
cette oreille. Elle met au point toute une machination de telle sorte qu’Iman est
contraint de l’épouser malgré les vœux échangés avec la fille de ses amis.
Le film se termine par une scène
particulièrement dramatique. Tous les protagonistes sont réunis dans la
maison de la « vieille maîtresse » : la jeune fille et son père,
Imam et ses parents qui viennent d’arriver de leur village, le vieux régisseur de la fabrique, ancien amant de la veuve et confident d’Imam et, enfin, Shafaat elle-même. Sous les regards médusés de ses « hôtes »,
celle-ci laisse éclater sa haine et révèle ainsi sa vraie personnalité. Horrifiés, les autres personnages veulent aussitôt quitter les lieux. La veuve tente de rattraper son
jeune époux. Elle en est empêchée par
son régisseur. Il est bien décidé à mettre la « sangsue » hors d’état
de nuire. Une lutte s’engage entre l’homme et la femme. Cette dernière est
violemment poussée contre la rampe qui cède. En contrebas, il y a la broyeuse
qui sert à la fabrication de l’huile. Shafaat meurt écrasée par la meule en
pierre tirée par le cheval tandis que le vieux régisseur hurle sa joie.
Critique
Un chef d'œuvre. Salah Abou Seif est un grand cinéaste et ce
film en fait une nouvelle fois la preuve (Inutile de préciser que La Sangsue
n’a fait l’objet d’aucune publication en DVD sur le marché français). On y retrouve le style du maître
égyptien, ce réalisme à la fois poétique
et symbolique qui rappelle l’atmosphère de certains romans de Naguib Mahfouz.
On a parfois reproché à ce film
son propos moralisateur, ce qui à mon avis n’a pas grand sens. En tous les cas,
il n’est pas plus moralisateur que les films noirs américains des années
cinquante mettant en scène la femme fatale et ses victimes, pauvres hommes que
la passion détruit inexorablement.
Il est vrai que le dénouement
assure le triomphe de la vertu : la femme fatale finit toujours par mourir
! Mais le film est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Salah Abou Seif
adopte l’attitude de Barbey d’Aurevilly : feindre de dénoncer le mal pour mieux le
peindre, pour mieux en suggérer tous les
délices. D’ailleurs, La Sangsue présente de nombreuses similitudes avec le
roman « Une Vieille Maîtresse » de l’écrivain normand.
Ce qui frappe tout d’abord, c’est
la séduction évidente de Taheya Carioca. Salah
Abou Seif ne cesse de célébrer sa beauté
dans des plans rapprochés qui nous font partager la fascination du jeune
étudiant pour sa logeuse. Ensuite, c’est le jeune homme qui devient objet de
désir, la caméra adoptant le point de vue de la femme qui ne manque aucune occasion de se retrouver en présence d’un locataire si désirable. Elle le
déshabille du regard, le frôle, le caresse jusqu’au premier baiser qui
constitue l’une des plus belles scènes du film et sans doute l’un des baisers
les plus mémorables de toute l’histoire du cinéma.
Certes, Shafaat nous est présentée
comme une femme dangereuse. Elle asservit hommes et bêtes qui travaillent pour
elle, elle épuise son jeune amant par un appétit sexuel sans limite. Mais c’est
avant tout une femme libre, qui assume ses désirs et revendique son droit au
plaisir, quel que soit le prix à payer. A ce propos, on peut déplorer le
titre détestable choisi pour la sortie du film en France « la Sangsue »
alors que le titre arabe est « Jeunesse d’une Femme », titre conservé
en anglais. Pourquoi « La Sangsue » ? La condamnation est sans
appel et c’est peut-être le signe qu’à l’époque, on est plus puritain en France
qu’en Egypte !
Enfin, le jeu de Chukry Sarhan montre bien
toute l'ambigüité du personnage d'Imam qui jusqu'au bout semble incapable de se
détacher de sa logeuse tyrannique. Face à la détermination de cette dernière, il semble
pétrifié, sans volonté et on finit par se demander s’il souhaite vraiment la
quitter pour convoler avec la ravissante oie blanche dont il s’est entiché. Dans le dernier plan du film, tandis que ses
proches l’entrainent hors de la maison « maudite » son regard ne peut
quitter le corps sans vie de sa maîtresse..
Voilà ce qu'écrivait François Truffaut à propos de la Sangsue dans Le Temps le 2 mai 1956." "La Sangsue" de Salah Abou Seif est une production pleine de verve et d'une grande drôlerie. Un jeune étudiant de province arrive au Caire et se laisse séduire par sa logeuse, femme du peuple, fougueuse et dépravée, qui le fait sombrer dans la déchéance. Les efforts additionnés de ses parents et de sa fiancée triomphent finalement de cette sangsue fatale. la mise en scène est adroite, le scénario bien construit et riche en péripéties, le dialogue stupéfiant de crudité et les acteurs tous magnifiques."
Appréciation : 5/5
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Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin