en 1969.
Scénario : Ihsan Abdul Quddus, Saad Eddin Wahba, Youssef Francis
Musique : Mohamed Abdel Wahab, Baligh Hamdy, Mohamed El Mougy, Mounir Mourad, Ali Ismaïl
Paroles des chansons : Morsi Gamil Aziz, Abdel Rahman El Abnoudy, Mohamed Hamza
Chorégraphie : Hamada Hossam Eddin
Production : Aflam Sawt Al Fan (Mohamed Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez, Wahid Farid)
|
Abdel Halim Hafez et Amira |
|
Salah Nazmi |
|
Mervat Amine |
|
Hamed Morsi et Nadia Lutfi |
|
Nadia Lutfi et Ehsan Sherif |
|
Imad Hamdi et Nabila El Sayed |
|
Fathy Abdel Sattar et Abdel Halim Hafez |
|
Abdel Halim Hafez et Nadia Lutfi |
Résumé
Adel vient de terminer son année universitaire. Après les examens, il décide de passer l’été à Alexandrie comme les années précédentes. Il dit au revoir à ses parents et à sa petite sœur et prend le train pour la station balnéaire. A son arrivée, il est accueilli par son ami Khaled. Les deux garçons se rendent d’abord au petit cabanon qu’Adel occupera durant son séjour. Celui-ci se change rapidement et ils repartent pour la plage où les attendent tous leurs compagnons. Ces vacances s’annoncent aussi joyeuses que les précédentes : le jour, des danses et des jeux, le soir, des fêtes conviviales et animées.
Mais pour Adel, le plus important est de retrouver Amal, la sœur de Khaled. Il est follement amoureux de la jeune femme qui elle-même n’est pas insensible au charme de l’étudiant. Malheureusement, Adel ne parvient jamais à être seul avec elle. Amal refuse toutes ses invitations pour des sorties à deux. En cela, elle obéit aux instructions de ses parents qui lui ont interdit de sortir seule avec l’ami de son frère. Adel ne supporte plus cette situation et les disputes entre les deux jeunes gens se multiplient. Un jour alors qu’il sort de chez lui, ruminant son ressentiment, il est accosté par des camarades de fac qui l’invitent à une fête. C’est ainsi qu’Il se retrouve avec un groupe de joyeux drilles ne s’interdisant aucun plaisir. Le soir, ils se rendent dans un cabaret où se produit la danseuse Ferdoos. Après sa prestation, celle-ci va à la rencontre des clients. La jeune femme remarque très vite Adel qui est resté seul à une table où il boit et fume avec excès. Elle finit par s’asseoir à ses côtés et engage la conversation. La complicité est immédiate, ils passeront la nuit ensemble dans l’appartement de Ferdoos. Cette dernière, qui est passionnément éprise de son jeune amant, convainc celui-ci de s’installer chez elle.
Désormais, Adel mène l’existence un peu vide du « gigolo » qui passe ses journées et ses soirées à boire et à jouer aux cartes tandis que sa maîtresse lui donne tout l’argent dont il a besoin. Ses amis ont été intrigués par sa disparition soudaine et Amal ne cache pas son angoisse. Khaled, qui est l’un des premiers à découvrir la liaison d’Adel, tente de le convaincre de revenir parmi eux. En vain. Les deux amants s’envolent pour le Liban afin d’y passer des vacances de rêve : Baalbek, Beyrouth, la plage, les boites de nuit… Mais à leur retour à Alexandrie, ils sont confrontés à une réalité beaucoup plus désagréable : Ferdoos n’a plus d’argent. Pour se renflouer, elle invite chez elle de riches clients qu’elle divertit durant de longues soirées alcoolisées. Tout se passe sous les yeux d’Adel.
Ce dernier comprend alors quelle situation abjecte est la sienne : il est entretenu par une entraîneuse d’âge mûr qui le traite comme un jouet. Il se souvient avec nostalgie de son ancienne vie avec Khaled, Amal et tous leurs amis. Il souhaite les retrouver mais quand il les recontacte, on lui oppose une fin de non-recevoir. Entre temps, ses parents ont été informés de sa nouvelle vie à Alexandrie. Son père a décidé de se rendre dans la station balnéaire pour arracher son fils des griffes de sa vieille maîtresse. Quand il se présente au cabaret dans lequel travaille Ferdoos, cette dernière demande à l’une de ses collègues de séduire le quinquagénaire, ce qui s’avérera une tâche peu difficile. Le père d’Adel devient à son tour l’amant d’une entraîneuse. Dès qu’Adel l’apprend, il se rend au cabaret où son père dîne avec sa nouvelle conquête. Il rencontre d’abord Ferdoos avec qui il rompt définitivement puis rejoint son père. Les deux hommes ont une violente explication mais ils finiront par se réconcilier grâce à l’intervention de Ferdoos elle-même. Dans la foulée, Adel retrouve Amal qui a assisté à la scène et qui est heureuse de regagner enfin le cœur de celui qu’elle aime.
Histoire du film
Mon Père sur l’Arbre est un film hors normes à bien des points de vue. Pour sa réalisation, Hussein Kamal et ses producteurs ont dû surmonter de nombreux obstacles. D’abord, le scénario d’après un roman d’Ihasan Abdul Quddus publié en feuilleton dans la revue Rose Al Youssef, fut maintes fois remanié. On embaucha le scénariste Saad Eddin Wahba avec pour consigne de transformer l’œuvre très littéraire d’Ihsan Abdul Quddus en scénario de comédie musicale. La tâche ne s’annonçait pas simple mais Saad Eddin Wahba finit par proposer une adaptation qui mit d’accord toutes les parties.
Le casting ne fut pas non plus une mince affaire, notamment pour les deux rôles féminins principaux. Pour le rôle d’Amal, le réalisateur aurait souhaité Nagla Fathy qui elle-même rêvait de jouer avec Abdel Halim Hafez mais celui-ci n’a pas voulu travailler avec elle . On a alors proposé le rôle à Zizi Mustafa mais elle n’était pas libre et c’est ainsi qu’on a choisi la toute jeune Mervat Amine. Pour le rôle de la danseuse, même difficulté. Les producteurs ont d’abord contacté Hind Rostom qui était à l'époque la plus grande séductrice du cinéma égyptien mais celle-ci a refusé de jouer un personnage qu’elle jugeait sans intérêt. Sans doute aussi a-t-elle craint les réactions de son public et de ses proches en la voyant incarner une entraîneuse qui s’amourache d’un petit jeune. C‘est donc Nadia Lutfi qui a emporté le rôle. On raconte que durant le tournage, les tensions entre elle et son partenaire Abdel Halim Hafez n’ont cessé de croitre et que ce fut l’une des causes de la dépression dans laquelle sombra le réalisateur une fois le film terminé.
Mon Père sur l’Arbre est le dernier film d’Abdel Halim Hafez qui est déjà très malade. Sa très grande fatigue compliquera le tournage. Ainsi les techniciens devront déployer des trésors d’ingéniosité pour dissimuler les cicatrices laissées par les multiples opérations sur le corps de la star. En 1969, le Rossignol Brun a quarante ans et il doit jouer un jeune étudiant d’une vingtaine d’années dans une comédie musicale où il faut chanter et danser. Malgré l’âge et la maladie, il parvient à être tout à fait crédible dans ce rôle de composition. Sans doute est-ce dû à son talent, qui est immense, mais aussi à sa silhouette de frêle adolescent qu’il gardera jusqu’à sa mort.
Le film conserve aujourd’hui encore une réputation sulfureuse pour ses nombreuses scènes un peu hardies qui à l’époque firent scandale. A sa sortie, on polémiqua à l’infini sur le nombre de baisers que les deux personnages principaux échangent tout au long du film. Il paraît que des spectateurs s’amusaient à les compter lors de la projection et qu’on en dénombrerait plus de cinquante, ce qui propulse Mon Père sur un Arbre à la première place du nombre de bisous à l’écran dans le cinéma égyptien, toutes périodes confondues. Certains critiques, adeptes de l’hyperbole, l’appelèrent « le film aux cent baisers ».
Ce caractère « licencieux » explique en partie le succès phénoménal du film à sa sortie : il restera à l’affiche du cinéma Diana au Caire pendant 53 semaines. Les traditionnalistes et les religieux eurent néanmoins leur revanche : Mon Père sur l’Arbre ne sera jamais diffusé à la télévision.
Critique
Aujourd’hui, la ferveur qui accompagna la sortie de Mon Père sur l’Arbre pourrait nous sembler bien excessive. Mais en 1969, ce film fit l’effet d’une bombe. Le technicolor, la présence d’ Abdel Halim Hafez et de Nadia Lofti, les danses endiablées sur le sable dans une ambiance très yéyé et surtout les scènes légèrement osées réunissant les deux vedettes, tout cela explique le succès phénoménal de cette comédie musicale qui restera à l’affiche au Caire pendant plus d’une année.
Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’on nous présente à l’écran une bande de jeunes gens sympathiques qui s’amusent comme des petits fous sur la plage. Niazi Mustafa et Houssam Al Din Mustafa avaient précédé leur collègue. Le premier réalise en 1967 Jeunesse Très Folle (Shabab magnoun geddan, 1967) qui se passe aussi à Alexandrie et la même année le second sort Le Rivage de la Gaieté (Chatei el Marah). Ces productions « Love and beach » constituent un genre à part entière, copié sur le cinéma américain des années cinquante et soixante. Ce genre connaîtra un certain succès jusqu’au milieu des années soixante-dix comme l’atteste la comédie de Mohamed Abdel Aziz, En été, il faut aimer (fil-seyf lazem neheb) réalisée en 1974.
Le point commun de ces films c’est de mettre en scène des jeunes, la plupart du temps en maillot de bain, qui s’amusent et se disputent, de préférence en dansant et en chantant. Garçons et filles ont une préoccupation unique : l’amour, bien évidemment. Enfin, le flirt pour les personnages secondaires et la passion exclusive pour les personnages principaux. Comme il se doit, les garçons sont autorisés à passer de l’un à l’autre, pas les filles. Cela nous donne de gentilles petites comédies, au rythme enlevé, dans lesquelles le héros ou l’héroïne connaît de petits chagrins et de grandes joies, sous l’œil bienveillant de ses petits camarades.
Le film d’Hussein Kamal semble au début baigné dans la même atmosphère. La première partie comporte une longue séquence qui se déroule sur la plage. Plusieurs dizaines de jeunes danseurs dans des tenues de couleurs vives chantent et dansent autour d’ Abdel Halim Hafez qui fait le pitre. La chanson s’intitule «Qadi Al Balaj », littéralement « le Juge de la Plage » et elle s’ouvre sur ces mots : « Au nom de l'air et du soleil et de la plage/Au nom de la jeunesse, de l'amour et des vacances » tandis que les danseurs lèvent les bras vers le ciel, comme dans un geste d’adoration païenne au soleil. On se doute que plus d’un conservateur a dû s’étrangler en entendant ces paroles détournant le texte liturgique avec une telle désinvolture. Pour nous, cette séquence représente l’un des moments forts de Mon Père sur l’Arbre. Les paroles de la chanson "Qadi Al Balaj" écrites par le poète Morsi Gamil Aziz et les danses chorégraphiées par Hamada Hossam Eddin composent un manifeste enflammé en faveur de la joie de vivre et du bonheur d’exister, un hymne à la beauté des corps, au plaisir et à la sensualité. Nous retrouverons cet hédonisme dans d’autres scènes du film comme celles tournées au Liban où séjournent les deux héros. On ne peut qu’être touché par ces images radieuses de Beyrouth, de Baalbek, de Journieh, autant de cartes postales d’un monde qui ne sait pas encore qu’il va sombrer dans le chaos et on suit avec une ineffable nostalgie, les escapades des deux amoureux au Pays du Cèdre. Ce que nous rappelle le film d’Hussein Kamal, c’est que le Moyen-Orient fut à une certaine époque, une terre bénie des dieux où l’homme pouvait vivre heureux.
Mais Hussein Kamal ne s’en tient pas à cette vision idyllique « sea, sex and sun » de son époque et dans la seconde partie, c’est comme si un voile se déchirait pour laisser transparaître une réalité plus sombre. Niazi Mustafa et Houssam Din Mustafa se contentaient d’exploiter le mythe un peu puéril d’un eden estival pour teenagers, Hussein Kamal en propose une version moins naïve, plus complexe.
Dans Mon Père sur l’Arbre, très vite, la bonne humeur s’estompe car ce que nous raconte le cinéaste, c’est un drame qui concerne principalement deux personnages, Adel, l’étudiant et Ferdoos, la danseuse. Paradoxalement, cette rencontre conduit le héros à faire l’expérience de la solitude. Il a rompu avec ses amis et il passe ses journées et ses nuits à attendre sa maîtresse qui travaille dans un cabaret. Pour oublier le vide de son existence, il fume, boit et joue aux cartes. Et le retour du voyage au Liban va être terrible pour lui. Sa maîtresse n’a plus d’argent, elle décide donc d’organiser des soirées avec de vieux messieurs très généreux, des soirées auxquelles Adel participe. La vérité éclate aux yeux du pauvre garçon : sa maîtresse est une entraîneuse et c’est grâce à ses complaisances qu’elle peut l’entretenir. Adel comprend alors que leur amour était un mensonge, une chimère. L’expérience est tout aussi cruelle pour Ferdoos, la danseuse, qui finira par être violemment rejetée par son jeune amant bien qu’il ait profité de sa générosité. Pour les deux héros, la désillusion est complète.
On pourra déplorer le moralisme étroit du dénouement qui semble tout droit sorti d’un film des années cinquante : "ne sacrifions pas l’amour d’une jeune fille honnête à une aventure torride mais sans lendemain avec une femme impudique !" Pourtant, à la fin des années soixante, la comédie égyptienne était parvenue à se libérer du carcan de la morale traditionnelle. Dans Mon Père sur un Arbre, non seulement celle-ci triomphe à la fin mais c’est l’enfant et non les parents qui s’en fait le porte-parole : dans la dernière scène, Adel intervient énergiquement auprès de son père pour qu’il revienne dans « le droit chemin » (Imad Hamdi est épatant en papa saisi par la débauche !). Cette fin édifiante étonne car Hussein Kamal ne peut être rangé parmi les bien-pensants et les conservateurs. Les baisers passionnés qu’échangent les deux personnages principaux durant tout le film le prouvent suffisamment. Il est possible que cette allégeance in fine à la morale traditionnelle soit un moyen pour faire passer toutes les scènes « osées » qui précèdent. Il n’a pas été le seul cinéaste à user de ce stratagème pour faire avaler des couleuvres aux censeurs !
Enfin, il faut absolument voir ce film, à la fois solaire et ténébreux. C’est le dernier d’Abdel Halim Hafez qui, bien que diminué par la maladie, joue, chante et danse avec une énergie et un art incroyables. Enfin, et surtout, il y a Nadia Lutfi, immense actrice, dans l’un de ses meilleurs rôles, celui d’une femme mûre qui revendique son droit au plaisir et qui devra affronter l’abandon, inéluctablement.
Appréciation : 4/5
****
Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin