اللص والكلاب
إخراج : كمال الشيخ
Kamal El Sheikh a réalisé Le Voleur et les Chiens en 1962.
D'après un roman de Naguib Mahfouz
Distribution : Chukry Sarhan (Saïd Mohamed Mahran), Shadia (Noura), Kamal Al Shennawi (Rauf Alwan), Zein El Ashmawy (Alish Sidra, l’ancien complice de Saïd), Salwa Mahmoud (Naboui, la femme de Saïd), Adly Kasseb (Cheikh Alarah), Salah Gaheen (le marhand de vin), Ikram Izou (Sana, la fille de Saïd), Salah Mansour (le compagnon de cellule de Saïd), Samia Mohamed (la voisine de Noura), Fifi Youssef (une prostituée)
Scénario : Sabri EzzatMusique : André Ryder
Chukry Sarhan |
Kamal Al Shennawi |
Kamal al Shennawi et Chukry Sarhan |
Shadia |
Kamal Al Shennawi |
Zein Al Ashmawi |
Salah Gaheen et Shadia |
Shadia |
Salwa Mahmoud |
Résumé
Adapté de l'un des chefs d'oeuvre de Naguib Mahfouz. Une adaptation réalisée à peine un an après la parution du roman.
Said est un voleur. Il est marié et a une petite fille. Il ne sait pas qu’Alish, son associé, entretient une liaison avec sa femme. Lors d’un cambriolage, Alish téléphone au commissariat pour dénoncer Said. Quand ce dernier sort de la maison, il est accueilli par la police. Les juges le condamnent à cinq années de prison. Said sympathise immédiatement avec le détenu qui partage sa cellule. Il se confie et lui raconte comment il a débuté dans la délinquance.
Il était chargé d’entretien dans une université. Un jour il est accusé d’avoir volé la montre de l’un des étudiants. Il nie mais on retrouve l’objet dans sa chambre. Raouf Elwan intervient et le sauve de ce mauvais pas. Raouf Elwan est un étudiant très brillant qui s’est pris d’affection pour Said. Il l’a incité à se cultiver et à lire des livres, il lui a inculqué sa philosophie : dans une société inégalitaire, le vol des riches par les plus pauvres est non seulement inévitable mais nécessaire.
Said est libéré avant la fin de sa peine pour bonne conduite. Il retourne dans son quartier et se présente au domicile d’Alish et de son ex-femme. Il souhaite revoir sa fille mais celle-ci ne le reconnaît pas et prend peur quand il tente de l’embrasser. Bouleversé, Said renonce à faire valoir ses droits paternels. Il se rend chez son ancien protecteur, Raouf Elwan. Celui-ci est devenu un célèbre journaliste. Said lui demande de l’aider à trouver un emploi mais Raouf refuse. Pour se venger, la nuit venue, l’ancien voleur pénètre dans la luxueuse maison de son « ami ». Ce dernier le reçoit, pistolet à la main. Il le chasse mais ne prévient pas la police.
Said voit régulièrement Nour, une prostituée qu’il connaissait avant son incarcération. Avec sa complicité, il vole la voiture de l’un de ses clients. Il en a besoin pour réaliser le projet qui le hante depuis des années : tuer son ex-femme et Alish. Une nuit, il se présente à la porte de son ancien appartement, brise la vitre et tire. Il ne sait pas que le couple avait déménagé. Il a tué le nouveau locataire. Raouf Elwan s’empare de l’affaire et compte l’exploiter pour accroître les ventes de son journal. Said s’est réfugié chez Nour. Malgré le crime qu’il a commis et la campagne de presse orchestrée contre lui par Raouf, il s’active toujours pour retrouver celui qui lui a volé sa femme et sa fille. Nour le supplie d’abandonner : elle ne veut pas le perdre. Mais Said s’obstine : cette vengeance est devenue une idée fixe. Un soir, Nour éprouve des douleurs intolérables à l’abdomen. Said doit chercher de toute urgence un médicament à la pharmacie. Le pharmacien le reconnaît. C’est ainsi que la police retrouve sa trace. Après une longue traque, Said est abattu sous les yeux de Nour.
Critique
Le Voleur et les Chiens est l’un des romans les plus célèbres de Naguib Mahfouz. Il date de 1961. C’est une œuvre très sombre. Le personnage principal est Saïd Mahrane, un voleur. Il a fait quatre ans de prison à cause de son complice qui l’a dénoncé à la police pour pouvoir lui ravir sa femme et sa fille. Après sa libération, ne sachant plus à quoi se raccrocher, Saïd tente de reprendre contact avec Raouf Elouane, l’intellectuel qui lui a enseigné la révolte contre cette société injuste. Désormais celui-ci est devenu une personnalité, il dirige un grand journal et a enterré tous ses idéaux de jeunesse. Il rejette son ancien disciple. Bref Saïd est seul et il ne souhaite plus qu’une chose : se venger de tous ceux qui l’on trahi. A travers ce destin tragique d’un homme qui a tout perdu et qui est emporté dans la spirale infernale du ressentiment et de la haine, Naguib Mahfouz fait un bilan désenchanté du régime nassérien. Dix ans que la révolution a eu lieu et les espoirs qu’elle avait fait naître ont été très vite déçus. Alors le peuple égyptien est retourné à ses vieux démons : le désespoir et le fatalisme.
Le film restitue de manière très fidèle l’esprit du roman de Naguib Mahfouz. Kamal Al Cheikh n’a pas tenté pour des raisons commerciales d’atténuer la noirceur du propos. Il a adopté une esthétique âpre, sans concession. Toutes les scènes baignent dans une atmosphère sinistre : souvent de nuit, dans des lieux fermés. En fait, le personnage principal semble aller de prison en prison et cette impression est renforcée par la présence constante de barreaux dans tous les lieux qu’il traverse : barreaux de lits, de portes d’entrée ou de fenêtres. Poursuivi pour un double meurtre, Saïd finira sa course bloqué dans une mosquée dont le gardien a fermé à clef la grille. Fait comme un rat, il meurt sous les balles des policiers. Ainsi ce thriller qui use avec brio de tous les procédés du film noir américain rappelle aussi par le retour constant de certains thèmes l’univers de Kafka, parenté qui devient explicite (un peu trop ?) dans la scène fantasmée du procès.
A l’aube des années soixante, Kamal Al Cheikh choisit d’adapter une œuvre dont les deux héros sont un criminel et une prostituée. C’est déjà un véritable révolution pour l’époque mais ce qui fait la grande modernité de l’œuvre, c’est le regard que porte le réalisateur sur ses deux personnages : aucun jugement, aucune condamnation morale. Concernant le personnage de Saïd, il se contente d’en souligner la complexité : à la fois victime (il a été dénoncé, trahi, abandonné, manipulé) et bourreau (il n’éprouve aucun remords quand il tue par erreur des innocents). Mais ce qui sauve celui-ci de l’abjection, c’est sa grande naïveté : il croit en la justice et en la générosité sans voir que ces valeurs n’ont plus cours dans l’Egypte post-révolutionnaire. Il y a aussi une tendresse évidente du cinéaste pour Nour la prostituée qui croit enfin le bonheur à portée de main avant que tout s’écroule (Ironie : Nour signifie lumière en arabe !). De toute manière, elle et son compagnon étaient condamnés d’avance : ils ne sont pas faits pour cette société qui protège les corrompus mais qui n’a aucune pitié pour les plus faibles. Le Voleur et les Chiens est donc à la fois un thriller, une tragédie et un réquisitoire.
Un dernier mot concernant l'interprétation : Shadia et Shukry Sarhan sont deux acteurs exceptionnels. Dans ce film, ils en font la démonstration éclatante.
Le roman de Naguib Mahfouz a aussi fait l'objet d'une adaptation pour une série télévisée en 1975.
Appréciation : 5/5
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Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin