mercredi 15 mars 2023

Plus Belle que la Lune (Qamar arbatachar, 1950)

قمر ١٤
إخراج : نيازى مصطفى





















Niazi Mostafa a réalisé Plus Belle que la Lune en 1950.
Distribution : Camilia (Qamar), Mahmoud Zulficar (Mohsen), Hassan Fayek (Mansour Pacha, le père de Mohsen), Ferdoos Mohamed (Khadija, la mère de Shafiqa), El Sayed Bedeir (le domestique Awais), Abd El Fatah El Kosary (le père de Shafiqa), Wedad Hamdy (Shafiqa), Samia Roshdi (la mère de Qamar), Ahmed Ghanem (Saleh, le fils cadet du Pacha) , Mimi Aziz (une servante), Fawzya Ibrahim (la femme de chambre), Ragwat Mansour (une servante), Rashwan Mostafa (le chauffeur)
Scénario : Abdel Fatah El Sayed
Production : les studios Misr


Camilia et Samia Roshdi



Ferdoos Mohamed et Wedad Hamdy








Camilia








El Sayed Bedeir








Hassan Fayek



Mahmoud Zulficar et Wedad Hamdy







Camilia et Mahmoud Zulficar







Abd El Fatah El Kosary et Camilia

















Résumé

   Mohsen est un jeune aristocrate, fils de Mansour Pacha. Il s’est marié secrètement avec Qamar, la fille de la propriétaire de la pension dans laquelle il vit. Pour officialiser sa situation, il envoie une lettre à son père lui signifiant son intention de se marier et lui demandant son consentement. La réponse de Mansour Pacha ne tarde pas : il lui ordonne de revenir au domicile familial car il lui a déjà trouvé une épouse. C’est la fille d’un riche marchand de poisson. Son père a besoin de ce mariage pour échapper à la faillite qui le menace. 

   A l’insu de Mohsen, Qamar a pris connaissance de la lettre du Pacha et elle a décidé de se battre. Elle se rend seule chez son beau-père et se fait embaucher comme femme de chambre. Son arrivée coïncide avec celle de la famille du marchand de poisson venue présenter leur fille à Mohsen dont on attend la venue pour le lendemain. A peine installée dans la propriété, Qamar enflamme le cœur de tous les hommes qui la croisent. Le Pacha et son jeune fils Saleh ne sont pas les moins épris et le second, malgré son jeune âge, multiplie les guet-apens pour conquérir l’accorte servante. Tous les mâles de la maison, qu’ils soient maîtres ou bien domestiques, n’ont plus qu’une seule obsession : obtenir les faveurs de Qamar. Et quand elle feint un malaise, chacun veut être le seul à avoir le privilège de la soigner. Plus incroyable encore : pour qu’elle puisse se reposer, tous les hommes, y compris Mansour Pacha, se chargent du ménage, sous l’œil incrédule de la fille et de la femme du marchand de poisson. 

   Mohsen arrive enfin pour le déjeuner et sa surprise est grande de retrouver Qamar parmi le personnel de la maison. Le jeune homme veut absolument éviter le scandale et supplie la fausse servante de ne rien révéler de sa véritable identité. Evidemment, Qamar est bien décidée à n’en faire qu’à sa guise. Elle veut que Mansour Pacha renonce à ce mariage avec la fille du commerçant et l’accepte comme seule bru légitime. Elle y parviendra en donnant secrètement rendez-vous à tous les hommes de la maison dans sa chambre à vingt-trois heures. En découvrant la présence de tous les autres, chacun tentera de justifier sa venue par un motif de la plus haute fantaisie. Seul Mohsen dira la vérité, il est dans la chambre de sa femme. Tout est bien qui finit bien : le Pacha accepte le mariage de son fils aîné avec Qamar et c’est Saleh qui épousera la fille du marchand de poisson.

Par la suite, on retrouvera cette intrigue dans deux autres films. En 1965, dans Tout le Monde l’Aime (Habibet Al-kol), un film libanais de Reda Myassar et en 1973, dans La Voix de L’Amour (Sawt El Hob), un film égyptien d’Helmy Rafla.



Critique

Camellia est l’étoile filante de la comédie égyptienne. Elle commence sa carrière en 1947 grâce à Youssef Wahbi qui la fait jouer dans son film Le Masque Rouge. Son ascension est fulgurante. Les cinéastes se l’arrachent et elle devient très vite l’actrice la mieux payée d’Egypte. Elle est adulée par le public et courtisée par les personnalités les plus illustres, dont le roi Farouk lui-même. Son aisance, son naturel et sa beauté font merveille à l’écran. C’est ainsi qu’elle éclipse toutes ses rivales, même celles qui sont « techniquement » plus douées qu’elle. Son portrait se retrouve en couverture de tous les magazines, attisant la passion des uns et la jalousie des autres. Tout cela se terminera tragiquement le 31 août 1950 par sa mort dans un accident d’avion.

Dans Plus Belle que la Lune qui sort quelques mois avant sa disparition, Camellia accède au statut de star. Elle ne partage plus le haut de l’affiche avec ses consœurs, c’est uniquement sur son nom que tout le film a été construit. Le personnage qu’elle joue n’est pas un rôle de composition. Qamar lui ressemble et se retrouve dans des situations qui sans doute lui ont été familières : des hommes de tous âges et de toutes conditions virevoltant autour d’elle et rivalisant entre eux pour la conquérir. On pourra noter une très grande similitude avec notre Brigitte Bardot nationale qui n’était jamais aussi convaincante que quand elle jouait Brigitte Bardot. Camellia jouait à la perfection Camellia et il aurait été saugrenu de vouloir lui faire jouer autre chose. Dans ce film, elle suscite la convoitise de tous les hommes de la maison. Ceux-ci n’ont plus qu’une seule obsession : la voir, lui parler, la toucher. Et pour redoubler le caractère fantasmatique de son personnage, le metteur en scène n’a pas hésité à l’affubler d’un costume de soubrette dont le bas est suffisamment court pour ne rien cacher des dessous de la belle.

Le désir rend fous tous ces hommes qui en oublient leur situation, leur statut. Le maître de maison finit par s’occuper lui-même du ménage pour complaire à celle qu’il prend pour son employée tandis que le commerçant au physique ingrat oublie femme et fille à marier pour conter fleurette à cette même jeune beauté. Mais le plus enragé est l’adolescent au physique d’enfant sage qui multiplie les stratagèmes pour obtenir les faveurs de Qamar. Le plus drôle dans ce film, c’est bien sûr la manière dont l’héroïne manipule tous ces mâles en rut. Elle les mène par le bout du nez jusqu’au happy end final au cours duquel apparaît une nouvelle servante devenant à son tour l’idole de tous ces messieurs.

On est frappé, aujourd’hui encore, de la liberté de ton de cette comédie et on est soufflé par l’audace de certaines scènes que d’aucuns jugeront scandaleuses comme cet épisode dans lequel Qamar s’enferme avec son futur beau-père dans une chambre afin de se livrer à une danse lui permettant d’exhiber sa culotte et son porte-jarretelles. (1) Le réalisateur, Niazi Mostafa, semble se soucier des convenances comme d’une guigne et un seul principe semble le guider, le plaisir : le sien bien sûr, celui des spectateurs mais aussi celui de ses acteurs qui s’en donnent à cœur joie et se prêtent à toutes les fantaisies du scénario. Camellia est entourée d’actrices et d’acteurs rompus à toutes les arcanes du jeu comique et du burlesque : Hassan Fayek, El Sayed Bedeir, Abd El Fatah El Kosary sans oublier Wedad Hamdy, épatante dans un rôle inhabituel.

Bref, ce film est une belle réussite. Niazi Mostafa et ses acteurs déchaînés nous offre un vaudeville à la française très divertissant, un Feydeau sur le Nil.


(1) Dans cette comédie, comme dans d’autres de cette époque, on retrouve la même atmosphère « libertine » que dans le cinéma hollywoodien pre code Hays.
Avant que le sénateur William Hays n’y mette bon ordre en 1930, le cinéma américain jouissait d’une très grande permissivité et les réalisateurs ne s’interdisaient rien : actrices en tenues légères, dialogues truffées d’allusions sexuelles, situations scabreuses et pour pimenter tout cela, du glamour et encore du glamour.
Toutes proportions gardées, ce sont un peu les mêmes recettes qu’exploitent les réalisateurs de comédies égyptiens à la fin des années quarante. Pourtant, en 1947, le roi Farouk a édicté ses soixante et onze ordonnances qui dressent la liste de tout ce qui désormais est interdit de montrer à l’écran et on sait qu’il s’inspire du code Hays. Ces ordonnances abordent le domaine sexuel mais en fait ce n’est pas la préoccupation majeure du souverain. La plupart des interdits concernent les sujets politiques, sociaux ou religieux et en matière de mœurs, les cinéastes ont conservé une liberté certaine. Les autorités les laissent tourner comme ils l’entendent à condition qu’ils ne mettent pas en cause le régime ou bien la religion.

Appréciation : 4/5


Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

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