mardi 1 février 2022

Victoire de la jeunesse (intisar al-shabab, 1941)

انتصار الشباب
إخراج : أحمد بدرخان


Ahmed Badrakhan a réalisé Victoire de la Jeunesse en 1941.
Distribution : Asmahan (Nadia), Farid al-Atrache (Wahid), Abdel Fattah El Kosary (Maïtre Al Attar), Fouad Shafik (Gouz, l’un des membres du trio), Hassan Fayek (Louz, l’un des membres du trio), Hassan Kamel (Boundouk, l’un des membres du trio), Mary Mouneib (Oum Ismaïl), Bishara Wakim (le directeur du cabaret, Les Etoiles de la Nuit), Anwar Wagdi (Mahi, le fils du Pacha), Stephan Rosti (Taha Taha, le professeur de musique), Abdel Salam Al Nabulsi (Fawzy, l’ami de Mahi), Rawheya Khaled (Ehsan, la sœur de Taha), Olwya Gamil (la mère de Mahi), Aziz Sadek (le chef d’orchestre), Lotfi El Hakim (le régisseur du théâtre), Mahmoud Ismaïl (Mahmoud, l’employé du cabaret), Samia Gamal (une danseuse)
Scénario : Ahmed Badrakhan, à partir d’une histoire d’Omar Gamae
Dialogues : Badie’ Khairy
Musique : Farid Al Atrache
Production : Les Films du Nil

Abdel Fatah El Kosary

















Hassan Fayek


















Hassan Kamel

















Asmahan

















Bishara Wakim

















Anwar Wagdi

















Anwar Wagdi et Abdel Salam Al Nabulsi

















Farid Al Atrache
















Asmahan

















Stephan Rosti

















Mary Moneib

















Fouad Shafik
















Olwya Gamil

















Asmahan et Anwar Wagdi

















Farid Al Atrache

















Asmahan

















Rawheya Khaled

















Résumé

Wahid et sa sœur Nadia ont quitté la Syrie pour se rendre en Egypte. Ils sont tous les deux chanteurs et ils n’ont pas réussi à percer dans leur pays. Ils espèrent qu’en résidant au Caire, ils auront plus de d’opportunités pour faire reconnaître leur talent. Dans le train, ils font la connaissance de Maître Al Attar qui, une fois arrivés au Caire, les conduit à la pension tenue par Oum Ismaïl. Wahid et Nadia s’y installent. Ils ont pour voisins de chambre, un trio d’artistes sans le sou, Gouz, Louz et Boundouk. Les trois hommes ont entendu chanter Wahid et Nadia et ils incitent ceux-ci à présenter leur candidature avec eux au cabaret Les Etoiles de la Nuit. Bachar, le directeur, hésite puis engage les cinq artistes. Nadia sur scène fait sensation. Dans la salle, se trouve Mahi, un fils de Pacha avec Fawzi, son meilleur ami et quelques connaissances. La beauté de la chanteuse bouleverse le riche héritier et il transmet à la jeune femme une invitation à venir à sa table prendre un verre. Nadia refuse. Mahi se plaint aussitôt au directeur. Ce dernier tente de fléchir Nadia mais elle reste intraitable. Bachar décide de renvoyer le frère et la sœur. Quand Mahi l’apprend, il supplie le directeur de reprendre dans son établissement les deux chanteurs. C’est ainsi que Nadia peut à nouveau chanter sur scène sans avoir à rejoindre dans la salle les clients du cabaret après sa prestation. Un peu plus tard, Mahi invite Nadia à se produire dans son hôtel particulier lors d’une soirée entre amis. Il en profite pour lui exprimer son amour et la demander en mariage. Devenue l’épouse d’un fils de grande famille, Nadia renonce à sa carrière artistique. Bachar n’apprécie guère ce retrait et en représailles, il met à la porte Wahid et le trio comique. Pour eux, la situation devient difficile : ils ne peuvent plus payer leur loyer. Heureusement, Wahid découvre dans le journal une petite annonce informant qu’on recherche des chanteurs pour le cinéma et que des auditions ont lieu chez le professeur de musique Taha Taha. Wahid se rend aussitôt à l’adresse indiquée. Il chante devant le professeur et plusieurs personnalités du monde de la musique. Taha Taha est impressionné par le talent du jeune chanteur mais il se garde bien de lui en faire part. Au contraire, mu par la jalousie, il donne un avis très sévère sur ce qu’il vient d’entendre. Pour autant, Wahid est satisfait de son audition. Il a fait la connaissance d’Ehsan, la jeune sœur du professeur de musique et il en est instantanément tombé amoureux. Mais ce n’est pas tout : l’un de ses auditeurs, le directeur d’une maison de disques a tenu à lui exprimer toute son admiration et veut l’aider à se lancer dans le monde de la musique. C’est ainsi que Wahid se produit à la radio et devient célèbre. Il a pu louer un grand appartement pour lui tout seul mais il n’a pas rompu avec les trois artistes qui sont devenus de véritables amis. De leur côté, la situation s’est aussi améliorée : l’un d’entre eux a épousé Oum Ismaïl et à la pension ils sont désormais chez eux. En revanche, pour Nadia, son bonheur aura été de courte durée : sa belle-mère a appris que son frère était chanteur et qu’elle-même s’était produite sur des scènes de cabarets. La vieille femme ne peut accepter que des saltimbanques fasse partie de sa famille et elle ne cache pas son indignation à sa belle-fille. Elle exige que son fils divorce sur le champ. Malgré l’amour que lui porte son mari, Nadia décide de le quitter et de retourner au Caire. Découvrant la fuite de sa femme, Mahi prend sa voiture et se lance à sa poursuite. Malheureusement, arrivant en trombe sur un passage à niveau, il heurte un train et se retrouve à l’hôpital. Nadia lui rend visite et lui demande de retourner auprès de sa mère. La jeune femme s’installe dans l’appartement de son frère et peu après elle se retrouve nez à nez avec Ehsan, la sœur du professeur de musique. Elle lui fait croire qu’elle est l’épouse de Wahid. Bouleversée par cette nouvelle, Ehsan accepte d’accompagner son frère pour un grand voyage hors d’Egypte. Dans le même temps, Wahid a terminé la composition de son opérette mais il désespère de pouvoir la monter. Pour l’aider, les trois artistes comiques font croire à Bachar, le directeur des Etoiles de la Nuit, que Nadia va divorcer et qu’elle accepterait de l’épouser. Les trois compères conseillent à Bachar de produire le spectacle de Wahid s’il souhaite obtenir au plus vite la main de Nadia. Le directeur de cabaret accepte. La dernière partie du film est entièrement consacrée à la représentation de l’opérette de Wahid. Dans le public se trouvent Ehsan ainsi que Mahi et sa mère. Happy end : Taha Taha accepte que Wahid épouse sa sœur et la mère de Mahi ne s’oppose plus au bonheur de son fils et de Nadia.


Critique

Victoire de la Jeunesse constitue la première apparition d’Asmahan au cinéma. Elle joue avec son frère, Farid Al Atrache qui a aussi composé la musique du film. En 1941, cela fait à peine deux ans que la jeune chanteuse est de retour en Egypte. En 1939, elle a quitté mari et enfant restés en Syrie pour reprendre ses activités artistiques au Caire.

Victoire de la Jeunesse a été réalisée par Ahmed Badrakhan, un pionnier du cinéma égyptien qui a une expérience solide en matière de comédie musicale. Il avait déjà réalisé deux films avec Oum Kalthoum. On raconte d’ailleurs que la diva est entrée dans une colère noire en apprenant que son réalisateur allait tourner avec cette rivale, jeune, belle et terriblement talentueuse.

Dans les années quarante, la comédie musicale est le genre roi en Egypte. Le public populaire va au cinéma pour admirer les danseuses, les chanteuses et les chanteurs qui ont commencé à se faire un nom dans les cabarets de la capitale. La plupart du temps, l’intrigue est secondaire, ce qui importe ce sont les séquences chantées et dansées. Ainsi, dans Victoire de la Jeunesse, l’histoire n'est pas d'une folle originalité. : un frère et une soeur, tous les deux chanteurs, ont quitté leur pays pour s'installer au Caire en espérant y connaître le succès et la gloire. L’intrigue repose sur un cliché que le cinéma usera jusqu’à la corde : les parents fortunés qui s’opposent à ce que leur enfant se marie à un ou une «saltimbanque». Dans Victoire de la Jeunesse, le thème est doublement exploité, le frère et la sœur étant tous deux confrontés à l’hostilité de la famille de leurs bien aimés. Une hostilité qui finira par se dissiper devant le talent éclatant des deux jeunes chanteurs.

Il y a une dimension clairement autobiographique dans ce film, notamment concernant Asmahan. Nadia, le personnage qu’elle joue, a dû abandonner la chanson pour épouser l’homme qu’elle aime. Il lui a fallu aussi quitter son frère, les amis et la vie trépidante du Caire pour se cloîtrer dans la maison de la famille du mari, maison dirigée d’une main de fer par une belle-mère acariâtre. Cela fait écho au mariage d’Asmahan avec son cousin Hassan Al Atrache en 1932. Elle aussi a dû quitter Le Caire et renoncer à ses activités artistiques pour s’enfermer dans le palais de son mari, loin de tout.
A noter que l’art et la réalité continueront à s’ « alimenter » l’un l’autre puisque à l’issu de ce tournage Asmahan épousera le réalisateur Ahmed Badrakhan et que leur brève union (à peine deux mois !) déplaira à leurs familles respectives.

Le film comporte huit chansons, toutes composées par Rachid Al Atrache et les paroles de six d’entre elles ont été écrites par le poète Ahmed Rami. On retiendra surtout la grande réussite sur le plan musical de la dernière partie du film, celle consacrée à l’opérette. Solos, duos, chœurs se succèdent dans un équilibre parfait. Les mélodies mêlant les styles occidental et oriental permettent aux deux chanteurs de donner la pleine mesure de leur talent et la virtuosité vocale d’Asmahan laisse pantois.

Si le frère et la sœur sont des chanteurs exceptionnels, en revanche comme acteurs, ils se révèlent plus limités. L’un comme l’autre semble peu à l’aise et leur jeu manque de naturel. Le visage d’Asmahan est certes d’une grande beauté mais il n’est guère expressif. Pour signifier qu’elle est triste , elle tamponne sans conviction ses yeux avec un mouchoir : service minimum ! Heureusement, ils sont entourés d’acteurs plus aguerris et Beshara Wakim, le Saturnin Fabre égyptien, est incroyable en directeur de théâtre fantasque.
Mais le caractère hiératique du jeu de Farid et d’Asmahan est sans doute dû aussi à la mise en scène. Au début des années quarante, en Egypte, le modèle n’est pas encore la comédie musicale américaine mais l’opérette , d’où le style très théâtral de l’interprétation. Après la guerre, les choses changeront rapidement et l’emblème de ce changement c’est le couple artistique que Farid Al Atrache formera avec la danseuse Samia Gamal : désormais le mouvement doit primer et le drame laisse la place à la comédie. A l’aube des années cinquante, l’Egypte se convertit à l’Entertainment hollywoodien, grâce notamment au réalisateur Henry Barakat.

Victoire de la Jeunesse connut un succès considérable pendant des mois et propulsa Asmahan et Farid au rang de stars. En revanche l’accueil fut plus tiède en Syrie, notamment auprès du peuple druze (Asmahan et Farid Al Atrache appartiennent à l’une des familles les plus puissantes de la communauté druze). Le comportement d'Asmahan était unanimement condamné. Elle avait divorcé et s’était remariée à un non-druze (ce qui est formellement interdit par la tradition) et maintenant, il y avait un deuxième divorce. La coupe était pleine ! Quand Victoire de la Jeunesse fut projetée à Damas et qu'Asmahan fit son apparition sur l'écran, un spectateur dit-on se leva et tira à plusieurs reprises des coups de pistolet dans sa direction, ou du moins en direction de son image. Ambiance !

Appréciation : 4/5
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 Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin


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