jeudi 19 août 2021

Le Diable est une Femme (Al-Shayttan Imra'a, 1972)

الشيطان امرأة
إخراج : نيازى مصطفى


Niazi Mostafa a réalisé Le Diable est une Femme en 1972.
Distribution :Mahmoud Yassin (Amin), Nagla Fathy (Yasmine), Ghasan Matar (Ghassan), Madiha Kamel (Warda, l’amie de Yasmine), Samir Sabri (Samir Sabri), Salah Nazmi (Al Damanhouri), Hassan Abdin (Othman, le beau-père de Yasmine), Mohiedine Abdel Mohsen (Salah), Aleya Abdel Moneim (la mère d’Amin), Mohamed Refaat (l’un des voleurs), Essam Mustafa (le contremaître), Hanem Mohamed (Naïma, la mère de Yasmine), Rashad Hamed (Desouki Bey), Mokhtar El Sayed (l’officier de police), Al Morsi Abou El Abbas (le frère d’Amin), Ali Ezz Eddine (le chef de la police), Wafiq Fahmi (Maïtre Boraï)
Scénario : Faysal Nada
Musique : Samir Sabri
Production : Abbas Helmy


Salah Nazmi






Aleva Abdel Moneim et Mahmoud Yassin



Nagla Fathy




Samir Sabri



Madiha Kamel et Nagla Fathy



Nagla Fathy et Mahmoud Yassin




Hanem Mohamed et Wafiq Fahmi



Hassan Abdin



Madiha Kamel et Ghasan Matar




Résumé

Une entreprise de tricot est victime de vols à répétition. Pour tenter de freiner le phénomène, deux agents de sécurité sont embauchés. Leur mission : contrôler les entrées et les sorties du personnel. Yasmine est une ouvrière de l’entreprise. Son attitude effrontée lui a valu maints rappels à l’ordre de la part de la direction. Amin, l’un des deux agents de sécurité, a fort affaire avec elle. D’emblée, Yasmine n’hésite pas à l’affronter. Quand elle quitte l’usine, elle refuse de montrer le contenu de son sac comme le règlement l’exige. Le jeune homme ne sait comment réagir à ses provocations d’autant plus qu’il a bien du mal à cacher le trouble qui s’empare de lui en sa présence. 
Un jour, il est invité au mariage du contremaître de l’entreprise. Celle qui danse pour les jeunes mariés, c’est Yasmine. Amin est ébloui par sa beauté et sa sensualité. En quittant la fête, il surprend un homme en train de violenter Yasmine. Amin intervient aussitôt et met en fuite l’agresseur. Elle se jette dans ses bras mais lui la maintient maladroitement à distance. Le lendemain, il découvre dans le sac de Yasmine des pelotes de laine volées. Il l’entraîne dans son bureau mais il accepte de ne pas la dénoncer à la direction. Pour le remercier, la jeune femme lui propose de se voir en dehors du travail. Ils passent une journée ensemble au bord de la mer. Amin déclare son amour à la jeune femme qui répond de manière évasive. 
Le lendemain, Yasmine ne se présente pas à l’usine. Inquiet, Amin se rend au domicile de ses parents. Il y découvre sa bien-aimée assise près d’un homme qui la tient tout contre lui. Amin s’enfuit sans dire un mot. Yasmine le rejoint chez lui. Elle lui explique que sa mère et son beau-père l’obligent à se montrer très conciliante à l’égard des clients qui viennent chez eux passer du bon temps. Elle prétend ne plus supporter cette situation et elle demande à Amin de la garder auprès de lui, tout en l’embrassant tendrement. Le jeune homme ne résiste pas longtemps. Ils passent la nuit ensemble. Au matin, les parents de Yasmine accompagnés de voisins font irruption dans l’appartement d’Amin. Ils jouent l’indignation et la colère contre le suborneur de jeunes filles pures et innocentes puis repartent avec Yasmine. Malgré cela, les deux amoureux parviennent à convenir d’un rendez-vous pour se revoir. Amin demande à son collègue de le remplacer afin qu’il puisse passer une partie de la soirée chez lui avec Yasmine. Malheureusement, la jeune femme ne vient pas. 
Quand Amin retourne à l’usine, il surprend des cambrioleurs qui après avoir ligoté son collègue, ont rempli tout un camion de fournitures. Amin parvient à attraper l’un des voleurs. Ce dernier lui avoue qu’il travaille pour Yasmine qui revend ensuite toute la marchandise à un chef de gang nommé Al Damanhouri. Amin se rend aussitôt chez le gangster. Evidemment, il y retrouve Yasmine. Une bagarre entre les deux hommes éclate. Amin est sérieusement blessé mais il a vaincu son adversaire qui gît sur le sol, inanimé. Yasmine lui demande de prendre l’argent du gangster et de s’enfuir mais Amin veut tout raconter à la police. Il ne le fera pas par il perd à son tour connaissance. 
Quand il se réveille, il découvre qu’on l’a transporté chez Warda, une amie de Yasmine. Warda et son mari, Ghassan, dirigent une maison de jeux où viennent se divertir de riches hommes d’affaires. Une fois rétabli, Amin apprend qu’il est recherché par la police : le beau-père de Yasmine a prétendu devant les policiers qu’il était le chef de la bande qui avait cambriolé l’usine. Amin est contraint de rester avec Yasmine dans la maison de ses nouveaux amis. Ghassan comprend tout le parti qu’il peut tirer de la situation. Il fournit à l’ancien agent de sécurité une nouvelle carte d’identité afin qu’il échappe à la police et il l’invite à se joindre aux autres joueurs de son établissement. Au début, Amin gagne de l’argent, beaucoup d’argent. Désormais, il passe toutes ses soirées à la table de jeu. Mais la chance tourne et il finit par perdre des sommes considérables. Tout l’argent qu’il avait récupéré chez Al Damanhouri fond comme neige au soleil. Yasmine le supplie d’arrêter mais lui s’entête, persuadé qu’il finira par à nouveau gagner. Espoir insensé : il se retrouve sans un sou. 
Ses relations avec Yasmine se dégradent. Comble d’infortune : Al Damanhouri a retrouvé sa trace et exige la restitution de son argent. Amin avoue qu’il a tout perdu au jeu. Al Damanhouri lui propose de travailler pour lui afin d’effacer sa dette. Il refuse mais le gangster lui demande de réfléchir. Après cet entretien, Amin retourne chez Warda et Ghassan. A peine a t-il retrouvé ses amis que la police fait irruption dans la maison. Yasmine et Amin parviennent à fuir. En cavale et sans argent, Amin est obligé d’accepter la proposition d’ Al Damanhouri. Il va apporter une aide précieuse au gangster grâce à sa connaissance précise des méthodes policières en matière de lutte contre le crime. Grâce à ses nouvelles « fonctions », il peut à nouveau gâter Yasmine qui retrouve le sourire. 
Mais cette prospérité et ce bonheur recouvrés seront de courte durée. Yasmine lors d’une soirée fait la connaissance de l’acteur Samir Sabri. C’est le coup de foudre immédiat. Ils se revoient. Peu après, lors d’une opération particulièrement dangereuse, Al Damanhouri apprend à Amin son infortune. L’opération tourne mal : fusillade entre bandes rivales et intervention de la police. Al Damanhouri meurt d’une balle en plein cœur. Amin parvient à fuir au volant d’une voiture. Il retrouve Yasmine dans leur appartement. Celle-ci lui avoue son amour pour Samir. Amin la tue d’un coup de poignard tandis que des agents de police entre dans l’appartement.


Critique

Le Diable est une Femme ou le mythe de Carmen revisité. Dans la nouvelle de Prosper Mérimée, l’héroïne, une gitane qui travaille dans une manufacture de tabac, séduit Don José, un brigadier de cavalerie chargé de surveiller les entrées et les sorties de l’usine. Par amour pour Carmen, le militaire connaîtra la prison puis rejoindra une bande de contrebandiers. L’infidélité de la jeune femme le rendra fou de jalousie et il finira par tuer celle qu’il aime de deux coups de couteau. On voit par ce bref résumé que le scénariste égyptien a suivi pas à pas les péripéties de l’œuvre de l’écrivain français (Dommage que le générique ne mentionne pas cette « inspiration » !)
Le duo Nagla Fathy et Mahmoud Yassin fonctionne ici parfaitement (Le premier film qu’ils ont tourné ensemble est Ma Sœur d’Henry Barakat en 1971 et en à peine deux ans, ils ont eu maintes fois l’occasion de se retrouver sur des plateaux de tournage.) Par ses tenues par ses attitudes, Nagla Fathy est une andalouse telle que la littérature et la peinture du XIXe siècle se sont plu à la représenter : effrontée et sensuelle, arborant des robes colorées aux décolletés avantageux. Quand elle tourne Le Diable est une Femme, Naglaa Fathy a tout juste 21 ans mais c’est déjà une actrice expérimentée que les producteurs et les réalisateurs s’arrachent. Elle a tourné son premier film en 1966, à l’âge de 15 ans et elle en a 17 quand elle débute sa carrière de séductrice à l’écran : en 1968, dans le film La Splendeur de l’Amour de Mahmoud Zulficar , on la voit conquérir le cœur d’un Dom Juan interprété par Rushdy Abaza. Au cinéma, Naglaa Fathy est le parangon de l’ingénue libertine, pour reprendre le titre d’un des romans de Colette. Mi-anges mi-démons, les personnages qu’elle incarne sont tout à la fois d’un sentimentalisme puéril et d’une sensualité ardente, d’une naïveté d’écolière et d’un cynisme de courtisane.
Dans ce film, elle joue avec une aisance extraordinaire le rôle d’une adorable petite garce qui ne se soucie que de son confort et de son plaisir. Si cette Yasmine est explicitement inspirée de Carmen, elle emprunte aussi maints de ses traits à Manon, l’héroïne de l’Abbé Prevost, même cupidité, même égoïsme, même insouciance. Face à ce petit monstre, il y a sa victime, interprété par un excellent Mahmoud Yassin. Tour à tour Don José et le chevalier des Grieux, l’acteur au visage anxieux est dans un registre qu’il connaît bien : celui du jeune homme tourmenté par l’amour et qui ne sait comment se défendre face aux manigances de la femme aimée.
Niazi Mostafa est fasciné par le monde du jeu, des malfrats et des filles faciles. Il en montre toute la séduction frelatée, notamment en adoptant pour les décors et les costumes des couleurs vives à la limite de la saturation. On retrouve un peu l’univers chatoyant de son précédent film Le Plaisir et la Souffrance dont le scénario est aussi signé Faysal Nada. Cette fascination n’interdit pas la lucidité : le destin des héros de ce film est forcément tragique. En revanche, elle exclut tout manichéisme. Ce qui frappe ici, c’est que malgré leurs activités illégales, aucun des personnages de ce drame n’est foncièrement antipathique, bien au contraire. Et l’ambivalence du réalisateur à l’égard de son héroïne prouve bien que celui-ci est un moraliste plus profond qu’il n’y paraît. Certes Yasmine est un être maléfique qui entraîne vers une chute irrémédiable son amoureux trop naïf. Mais en même temps, elle fut son seul bonheur, sa seule joie de vivre. C’est grâce à elle, qu’Amin a été brusquement arraché de sa condition médiocre de petit vigile solitaire. C’est grâce à elle qu’il a connu brièvement la légèreté d’une existence sans souci auprès d’une compagne affriolante qui comblait tous ses désirs. Alors peut-être cela vaut-il les longues années qu’il passera derrière les barreaux : un long enfer pour quelques instants de bonheur qui valent toute une vie.
Profitons de cette chronique pour déplorer à quel point ce cinéma commercial des années soixante-dix est largement sous-estimé. Il comporte pourtant d’indéniables réussites parmi lesquelles il faut compter Le Diable est une Femme. Rappelons enfin que Nagla Fathy est une immense actrice qui devrait figurer au premier rang de toute histoire du cinéma égyptien, à l’instar des Samia Gamal, Hind Rostom ou Faten Hamama.

Note : le titre est emprunté à un film américain de 1935 réalisé par Josef von Sternberg avec Marlène Dietrich, The Devil is a Woman. Ce film était une adaptation du roman de l'écrivain français Pierre Louÿs, La Femme et le Pantin.

Appréciation : 4/5
****


Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire