lundi 16 décembre 2024

Le Puits des Privations (Bir Al Hirman, 1969)

بئر الحرمان
إخراج : كمال الشيخ


Kamal El Sheikh a réalisé Le Puits des Privations en 1969. 
Distribution : Soad Hosny (Nahed/Mervat), Nour Al Sherif (Rouf Kamal, le fiancé de Nahed), Salah Nazmi (l’avocat Mohamed Fakhr Eddine, le père de Nahed), Mariam Fakhr Eddine (Mervat, la mère de Nahed), Hamdy Youssef (le docteur Fouad), Mahmoud El Meleigy (le psychiatre Talaat Farid), Mohie Ismail (l’artiste peintre), Hamza El Shimy (Suleiman, le chauffeur), Aqila Rafaat (Nahed enfant), Abdul Rahman Abu Zahra (Taha)
Scénario : Youssef Francis, Naguib Mahfouz
D'après un roman d'Ihsan Abdul Quddus
Production : Ramses Naguib
Ce film sur le dédoublement de la personnalité semble inspiré des Trois Visages d'Ève (The Three Faces of Eve), un film américain réalisé par Nunnally Johnson en 1957.

Soad Hosny et Abdul Rahman Abu Zahra


Hamdy Youssef



Soad Hosny et Mohie Ismaïl



Mahmoud El Meleigy



Nour Al Sherif et Mariam Fakhr Eddine



Nour Al Sherif




Salah Nazmi et Mariam Fakhr Eddine
















Résumé

Quand le film débute, nous sommes dans une boite de nuit. Seule sur la piste, une jeune femme portant une robe provoquante danse de manière frénétique. Les regards de tous les hommes présents sont braqués sur elle. A la fin du morceau, la danseuse s’installe au bar et elle est immédiatement abordée par un client. Elle accepte de l’accompagner chez lui et ils passent la nuit ensemble. Le lendemain, on retrouve la jeune femme chez elle, vêtue de manière beaucoup plus sage. Elle appartient à une famille très aisée, son père est un célèbre avocat. On comprend qu’elle souffre de schizophrénie. Le jour, elle est Nahed, une jeune fille très convenable fiancée à un champion d’escrime. La nuit, elle devient Mervat, une débauchée qui multiplie les aventures sexuelles. Et quand au matin, Nahed se réveille, elle n’a plus aucun souvenir de sa nuit passée. Elle a juste un mal de tête dont elle ne connaît pas la cause et qui l’inquiète. Nahed est aimée de ses deux parents mais elle se désole de leur mésentente. Son père surtout ne cache pas l’hostilité que lui inspire son épouse. Cette dernière, qui s’appelle Mervat comme le double de Nahed, passe ses journées, seule et triste, dans le salon de leur grande maison. Un jour, Nahed décide de consulter à propos de ses maux de tête. Après l’avoir examinée, le médecin de famille, le docteur Fouad, la rassure : il n’y a rien de préoccupant dans son état. La jeune femme passe ensuite la journée avec son fiancé. Mais le soir venu, elle s’enfuit à nouveau de chez elle pour se rendre dans une boîte de nuit. Cette fois-ci, elle fait la connaissance d’un artiste peintre qu’elle suit dans son atelier. Ils font l’amour puis elle rentre chez elle. Le lendemain matin, les maux de tête sont plus vifs qu’à l’ordinaire et elle se sent épuisée. Sa mère lui conseille de consulter à nouveau le docteur Fouad. Celui-ci ne trouve toujours rien d’anormal chez Nahed mais il découvre que son dos est couvert de peinture à l’huile. Le médecin décide de confier sa jeune patiente à un psychiatre, le docteur Talaat Farid. Ce dernier accepte de suivre Nahed mais il la prévient qu’il faudra une longue analyse pour comprendre ce dont elle souffre. En attendant, l’état de la jeune femme ne cesse d’empirer. La nuit venue, elle cherche des hommes pour satisfaire ses désirs : elle renoue avec un ancien amant et elle finit même par séduire le chauffeur de la famille. Celui-ci est persuadé que la jeune femme est amoureuse de lui et, en plein jour, il tente d’avoir une relation sexuelle avec elle. Nahed est indignée par son comportement et s’enfuit, morte de peur. Autre situation embarrassante créée par son dédoublement de personnalité : dans une exposition de peinture qu’elle visite avec son fiancée, elle tombe nez à nez avec son portrait peint par l’artiste peintre qui avait été son amant d’une nuit. Sa mère finit même par la surprendre alors qu’elle est Mervat et qu’elle s’apprête à quitter la maison. Mais avec l’aide du psychiatre, Nahed découvre enfin la raison de son état. C’est à cause d’un traumatisme infantile provoqué par l’infidélité passée de sa mère…


Critique

Ce film illustre l’évolution du cinéma égyptien en cette toute fin des années 60. Il marque aussi une étape importante dans la carrière de son actrice principale, Soad Hosny.

Nous sommes en 1969, deux ans après le traumatisme de la défaite cuisante subie par l’Egypte lors de la guerre des six jours. La société égyptienne est en train de changer sur tous les plans et cela va s’accélérer avec la mort de Nasser en 1970. Le cinéma naturellement accompagne ces bouleversements. Emportés par ce vent de libération qui balaie la planète entière, les cinéastes égyptiens se détournent des divertissements familiaux et osent aborder de nouvelles thématiques destinées à un public adulte. Ils sont de plus en plus nombreux à évoquer ouvertement les problèmes liés à la sexualité et on voit se multiplier les scénarios décrivant les troubles psychologiques provoqués par une morale trop rigide, source de frustration et de névrose. Soyons honnête : l’évocation de ces troubles est souvent le prétexte à montrer des scènes osées au contenu érotique plus ou moins caractérisé. C’est un peu le cas dans ce Puits des Privations. Kamal El Sheikh que l’on considère à juste titre comme l’un des plus grands cinéastes de son temps s’intéresse ici à une jeune femme atteinte d’une forme de schizophrénie : le jour, elle est une jeune bourgeoise menant une existence conventionnelle, la nuit, elle devient une nymphomane qui multiplie les aventures d’un soir. Kamal El Sheikh a toujours été un fervent admirateur d’Alfred Hitchcock et on retrouve dans son film l’atmosphère inquiétante de ceux du maître anglo-saxon. Autre point commun, le film prend la forme d’une enquête menée par le psychiatre pour découvrir le traumatisme subi dans le passé par l’héroïne, ce qui expliquerait son comportement déviant. On pense évidemment à Pas de Printemps pour Marnie qui date de 1964.

Le traumatisme infantile est justement le point faible de l’histoire. A coups de flashbacks dans la petite enfance de l’héroïne, on nous explique que ses troubles sexuels sont dus à l’infidélité de sa mère qui autrefois s’absentait fréquemment pour retrouver son amant. C’est pour cette raison que la nuit Nahed devient Mervat, reproduisant inconsciemment l’inconduite passée de sa mère. Sur le plan psychanalytique, ça ne tient pas la route et sur le plan dramatique, c’est franchement ridicule. (On trouve pourtant au scénario, Naguib Mahfouz !)

Nahed, l’héroïne, est jouée par Soad Hosny. Celle qui fut la Cendrillon du cinéma est à un tournant de sa carrière. Pendant toutes les années soixante, elle a incarné la jeune égyptienne moderne, sympathique et heureuse de vivre. On la retrouve dans les comédies les plus populaires de l’époque, des comédies, il faut bien le dire, souvent un peu superficielles. A la veille d’une nouvelle décennie, la star veut explorer des voies inédites, quitte à décevoir une partie de son public. Et ce Puits des Privations constitue une étape majeure dans sa mue artistique. On sent dans sa manière d’aborder son personnage, une envie de répondre exactement aux désirs de son réalisateur, en affichant une sensualité peu commune dans le cinéma égyptien des années soixante (mais qui deviendra un peu la norme dans les années soixante-dix avec des actrices comme Nahed Sharif ou bien Chams Al Baroudi). Il y a indubitablement une prise de risque de la part de Soad Hosny et on doit lui reconnaître un certain courage artistique. Néanmoins, nous trouvons que son jeu manque ici de naturel. Sa manière de jouer la jeune femme libertine ne nous convainc pas car un peu trop timide, un peu trop puéril. Dans ce domaine, Nadia Lutfy reste inégalée, comme le prouve avec éclat la comédie musicale Mon Père sur l’Arbre d’Hussein Kamal sorti en cette même année 1969.

Il est clair que le cinéaste et son actrice avaient conscience que leur film allait faire scandale. Les scènes les plus attendues et les plus commentées sont celles où la nuit venue, l’héroïne se livre à ses turpitudes avec ses amants. Mais aujourd’hui que reste-t-il de ce scandale ? Peu de chose et le caractère osé des scènes nocturnes s’est considérablement émoussé. Tout compte fait, Ce Puits des Privations n’est certes pas un mauvais film mais il pêche par une certaine maladresse et par une certaine naïveté. Paradoxe de ces œuvres qui à se vouloir « modernes » ont bien mal vieilli !

Appréciation : 3/5
***

Texte : © Ciné Le Caire/Philippe Bardin

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