mardi 10 mars 2020

Les réalisateurs : Ahmed Salem (1910-1949)

أحمد سالم

Ahmed Salem est mort alors qu’il s’apprêtait à fêter son quarantième anniversaire et pourtant quand on se penche sur sa biographie on a l’impression que cet homme incroyable a vécu mille vies. 
Il est né en 1910 dans une famille qui joua un rôle important dans l’histoire de l’Egypte. L’un de ses frères fut même ministre de l’agriculture après la révolution de 1952. 
Ahmed fait des études d’ingénieur à Cambridge et c’est lors de cette formation qu’il apprend à piloter un avion. Quand il rentre en Egypte, il cherche une situation à la hauteur de ses ambitions qui sont grandes. On lui propose un poste d’animateur au département de langue arabe de la radio d’état. Il en devient très vite le directeur. En 1935, un an plus tard, Talaat Harb lui propose de prendre la direction de la compagnie que sa banque vient de créer pour financer le cinéma égyptien. C’est à ce titre, qu'Ahmed Salem supervise la construction des studios Misr dont il devient le premier dirigeant. Pour développer les activités de ces tout nouveaux studios, Il embauche des techniciens et des cinéastes étrangers ainsi que des réalisateurs égyptiens s’étant formés en Europe. 

En février 1936, sort le premier film produit par les studios Misr. C’est Wedad du cinéaste allemand Fritz Kramp avec Oum Kalthoum. 
En 1938, les studios Misr sortent Lasheen du même Fritz Kramp. Au palais royal, on considère ce film comme un véritable manifeste contre la monarchie. Sa projection est aussitôt suspendue et on exige que le dénouement soit modifié avant d’être à nouveau projeté dans les salles. Ahmed Salem refuse de se soumettre à cette censure et démissionne de toutes les fonctions qu’il occupait aux studios Misr. 
Il poursuit néanmoins sa carrière comme acteur, réalisateur et producteur. En 1946, il réalise son film le plus célèbre, Le Passé Inconnu avec la star de l’époque, Layla Mourad. 
Il meurt alors qu’il dirige Larmes de Joie. C’est Fateen Abdel Wahab, son assistant qui terminera le film. 

Malgré ses nombreuses activités dans le domaine cinématographiques, Ahmed Salem multiplie les histoires d’amour. Il se marie cinq fois, avec notamment Taheya Carioca puis avec Asmahan. Il découvre aussi la jeune actrice Camillia dont il fait sa maîtresse et qu’il veut lancer au cinéma. Cette rencontre aurait eu lieu en 1946 dans des circonstances qui restent obscures. (Tout ce qui entoure la personnalité de Camilla est nimbé d’un épais brouillard, pour commencer, sa date de naissance : est-elle née en 1919 ou en 1929 ? Ahmed Salem l’a-t-il découverte à 17 ou à 27 ans ? Les deux versions coexistent parfois dans le même document.) Une chose est certaine : leur liaison sera très brève et Ahmed Salem ne fera jamais tourner celle qui deviendra, selon certains, la maîtresse du roi Farouk.
Tout aussi rocambolesque est sa relation avec la chanteuse Asmahan. Il fait la connaissance de celle-ci en Palestine alors qu’il est accompagné de son épouse Taheya Carioca. A cette époque, la sœur de Farid Al Atrache est en exil. Ahmed Salem l’épouse ; ainsi elle peut rentrer en Egypte. Le caractère fantasque d’Asmahan va très vite mettre en péril leur union. Les disputes se multiplient. Un jour, alors qu’Asmahan s’apprête à quitter le domicile conjugal, Ahmed Salem la menace avec un revolver. La police est prévenue. Il y a une altercation entre le mari « énervé » et un policier. Ce dernier tire. Le réalisateur échappe à la mort par miracle. C’est quelques années plus tard qu’il meurt brutalement lors d’une intervention chirurgicale.
Ahmed Salem ne fut sans doute pas un grand artiste mais il fut à la fois un grand aventurier et un entrepreneur audacieux à qui le cinéma égyptien doit énormément.


Un seul film d'Ahmed Salem a fait l'objet d'une présentation dans ce blog : 


Le Passé Inconnu (El Mady el maghool, 1946)
avec Layla Mourad (Nadia, l’infirmière), Ahmad Salem (Ahmed Alawi), Mohamed Kamel (Idriss, le domestique d’Ahmed), Bishara Wakim (le maître Shobokshi), Amina Nour Eddin (Zouzou, la cousine d’Ahmed), Ahmed Allam (le médecin), Ferdoos Mohamed (la mère de Nadia), El Sayed Bedeir (un parent d’Ahmed), Fathia Fouad (la gitane), Victoria Hobeika (la tante d’Ahmed), Said Abou Bakr (un cousin d’Ahmed), Mohamed Attiah (le fiancé de Zouzou), Abdel Aziz Hamdy (l’oncle Zaher), Nabawya Mostafa (une danseuse), Hagar Hamdy (une danseuse)
Scénario : Ahmed Salem (inspiré des travaux du docteur Charcot)
Dialogues : Badie’ Khairy
Musique : Mamoun Al Shinnawi, Mohamed Fawzi, Mohamed Abdel Wahab, Abdel Halim Noweira, Saleh Gawdat, Aboul Seoud Al Ibiary, Galil El Bendary
Paroles des chansons : Ahmed Rami
Production : Les films Ahmed Salem


Drame. Ahmed Alawi est un homme très riche. Un jour il décide de partir en voyage seul vers une destination qu’il veut garder secrète. Le train dans lequel se trouve Ahmed déraille et dans l’accident, il perd connaissance. Il est transporté à l’hôpital où il subit une opération délicate au cerveau. Quand Ahmed recouvre ses esprits, il n’a plus aucun souvenir de sa vie passée. Nadia est la jeune infirmière qui s’occupe de lui. Elle a tout de suite éprouvé de la sympathie pour ce patient amnésique et elle veut l’aider à reconstituer son identité. Elle fait publier une photo d’Ahmed dans le journal pour tenter de retrouver sa famille. Celle-ci n’est guère attristée par la disparition brutale de l’entrepreneur. Au contraire : chacun de ses membres espère bien obtenir la part d’héritage qui lui revient…

Notre avis : la vie d’Ahmed Salem est passionnante, son œuvre cinématographique un peu moins. L’une de ses meilleures réalisations est ce « Passé Inconnu » dont il est aussi le producteur et l’acteur principal. Il tourne ce film en sortant de prison (pour une histoire d’escroquerie à grande échelle, il fut condamné à mort puis totalement blanchi) et on est ébahi de voir comment il a réussi à rassembler autour de lui tant de talents de premier plan dans tous les domaines. On lui pardonnera quelques maladresses et on sera sensible à l’atmosphère poétique dans laquelle baigne ce drame. Cela tient sans doute à la présence magnétique et à la voix sublime de Layla Mourad mais aussi au jeu d’Ahmed Salem, lui-même. On le présente souvent comme un acteur médiocre alors que dans ce film, son interprétation est remarquable par sa modernité : il joue un personnage détaché de tout, maintenant une distance avec tous, presque indifférent aux coups du destin. Dans plusieurs scènes, on a l’impression d’être face à Meursault, le héros de L’Etranger, le roman d’Albert Camus.

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